Eloge de l’éducation lente – plaidoyer pour le socle commun ?

Joan Domenech Francesch, professeur d’école, militant pédagogique, formateur, membre du Conseil scolaire de Catalogne, est également directeur d’une école à Barcelone, où il s’efforce de mettre en acte, au quotidien, sa pensée éducative.

Pour l’auteur, réfléchir sur la notion de temps en éducation est fondamental. « Ralentir implique d’établir des priorités et donc de dégager les questions de base auxquelles consacrer davantage de temps. » Ainsi faut-il penser le temps de manière nouvelle. Nous ressentons tous le manque de temps, pour se réunir, pour traiter les programmes, les élèves manquent de temps pour apprendre, les emplois du temps sont surchargés… L’auteur rattache cette problématique au fonctionnement de notre société. Or il est indispensable de ralentir pour retrouver la qualité, plutôt que la quantité pour tous. Ce temps éducatif doit répondre aux besoins des élèves, favoriser l’émancipation, le bonheur et la culture des citoyens. Si ce projet peut être jugé comme utopique, il relève « davantage d’une attitude ou d’une manière de faire au quotidien que d’un projet hautement révolutionnaire ».

Cette pensée éducative s’inscrit dans le mouvement divers des Slow, prônant l’alternative aux dérives de nos sociétés actuelles, et qu’on peut caractériser par cinq aspects : rechercher le temps juste, privilégier la qualité, redonner du temps aux personnes, travailler au présent, à partir du passé, en pensant au futur, avoir un esprit critique vis-à-vis de la société actuelle.

Dans la première partie du livre, parue en septembre 2011 chez chronique sociale, l’auteur tisse les relations complexes entre le temps et l’éducation, voire les impasses, s’appuyant à la fois sur les évolutions historiques qui ont mené à nos écoles « démocratiques », reconnues comme un droit fondamental, et analyse aussi les symptômes actuels d’une école en crise.

Ainsi, les réformes éducatives du 20ème siècle ont rationalisé le temps éducatif, favorisé des systèmes compétitifs, la sélection, ce qui aboutit à creuser les écarts entre des élèves aux rythmes d’apprentissage différents. « [l’administration] a chargé les programmes scolaires et nous pousse à mener les apprentissages au plus vite. Et lorsque nous n’avons pas assez de temps scolaire, nous prenons sur le temps extrascolaire. » « La pression exercée par l’administration n’a pas été sans conséquence sur l’opinion publique et sur le point de vue des familles et des professeurs : ils ont été pris dans un courant de pensée qui propose, sans cesse, d’accélérer les processus éducatifs, de surcharger l’éducation avec des examens, de contrôler par des épreuves externes les résultats et le niveau des acquisitions. » L’auteur rappelle pourtant le rôle essentiel des éducateurs, acteurs-clés dans une société de la connaissance, mais en appelle à ne pas perdre du vue les finalités d’une école démocratique. Or, réduire la vitesse, « c’est aussi parier sur une éducation qui tiendrait compte des élèves les plus faibles. Nous sommes convaincus que les rythmes inadéquats leur portent préjudice et favorisent les inégalités et l’exclusion. »

Dans la deuxième partie de l’ouvrage sont énoncés les quinze principes pour l’éducation lente :

  1. l’éducation est une activité lente
  2. les activités éducatives définissent elles-mêmes le temps nécessaire à leur réalisation, et non l’inverse
  3. en matière d’éducation, moins, c’est mieux
  4. l’éducation est un processus qualitatif
  5. le temps éducatif est global et inter-relié
  6. la construction du temps éducatif se doit d’être durable
  7. chaque enfant – et chaque personne – a besoin d’un temps propre pour apprendre
  8. chaque apprentissage a son moment
  9. pour profiter au mieux du temps, définir et hiérarchiser les finalités de l’éducation
  10. l’éducation requiert des moments sans temps
  11. redonner du temps aux enfants
  12. repenser le temps dans les relations entre enfants et adultes
  13. redéfinir le temps des éducateurs
  14. l’école doit éduquer au temps
  15. l’éducation lente fait partie des nouvelles perspectives pédagogiques.

Les constats et problématiques des enseignements primaire et secondaire des deux côtés des Pyrénées sont partagés, bien que les communautés espagnoles, ici la Catalogne, disposent de plus d’autonomie sur les questions éducatives.

Dans ce principe d’éducation lente, le professeur milite pour « des apprentissages profonds qui se traduisent en compétences. » « Une information peut être vite mémorisée ; toutefois, avant de devenir une compétence transférable à d’autres situations, elle doit passer par diverses étapes, ce qui demande du temps. » Il défend également l’idée d’une autonomie plus large des établissements et des professeurs afin que les équipes pédagogiques puissent apporter des réponses plus adaptées aux besoins des élèves. Il appelle à revoir la conception des programmes, car ce n’est pas parce qu’il y a plus de chapitres que les élèves apprendront plus. Afin d’éviter le morcellement des apprentissages, les approches globales et interdisciplinaires sont à privilégier. L’auteur se désole aussi du gaspillage d’heures à cause de la fragmentation excessive de l’emploi du temps et des multiples évaluations, qu’il faut absolument revoir.

C’est dans ce sens que Joan Domenech Francesch, père de deux enfants, développe au final 50 propositions pour ralentir, tant à l’école que dans la sphère familiale.

Ce livre fait écho aux débats français sur la question des rythmes scolaires. Les lecteurs y trouveront une réflexion éclairée et humaniste qui pourra constituer une clé d’incarnation du socle commun de connaissances et de compétences, à l’heure de la refondation de l’Ecole républicaine.

Une réponse à “Eloge de l’éducation lente – plaidoyer pour le socle commun ?

  1. Passionnant. Je suis très heureux de découvrir cela. Je ne manquerai pas d’aller voir ce livre, de l’intérieur. Mais votre compte-rendu m’inspire néanmoins une remarque: soyons vigilants à ne pas aller trop vite en confondant évaluation et élitisme. Notre système éducatif est terriblement élitiste, sans pour autant s’appuyer sur une vraie culture de l’évaluation (par compétences). On peut évaluer tranquillement, non pas pour classer les élèves mais pour s’apercevoir que les classements n’ont aucun sens. Pour personnaliser, au contraire, les parcours.

Laisser un commentaire