Pour conclure cette première partie du dossier consacré aux évaluations sans notes, nous abordons trois questions qui traversent le débat public, questions d’ordre politique, pédagogique, éducatif. Pour y répondre, des extraits d’articles de blogs, ou des spécialistes et praticiens de terrain prennent la parole pour livrer leur analyse. Nous partirons pour cela des trois idées reçues suivantes.
- La fin des notes, une idée de gauche ?
- Sur le terrain, concilier notes et compétences, c’est chronophage.
- La fin des notes, c’est bien joli, mais comment va-t-on orienter les élèves ?
- La fin des notes, une idée de gauche ?
Dans son article « Les notes, une menace ? », Fabrizio Butera affirme que la question de la suppression des notes est clivée politiquement, avec en gros la gauche pour son abolition, et la droite contre. Idée démagogique, utopiste, signe de l’absence d’autorité et de soumission à l’enfant-roi, des politiques de droite, comme François Fillon ou Rama Yade (mais aussi certains de gauche) ont pris position dernièrement sur cette idée folle d’un jour abandonner les notes.
Claude Lelièvre, malicieux, a rappelé sur son blog les termes d’un débat posé lors du congrès d’Amiens, en 1968. 1968… encore un coup des soixante-huitards… pensez-vous !
« Il y a tout juste quarante ans, du 15 au 17 mars 1968, s’est tenu à Amiens un colloque des plus surprenants avec la participation de la fine fleur des hauts fonctionnaires de l’éducation nationale et des chercheurs en éducation. Le mot de la fin du recteur d’Amiens, puissance invitante, a été également des plus étonnants : » Le seul moyen d’éviter les révolutions, c’est d’en faire « . Deux mois avant Mai 68. Dans la déclaration finale du 17 mars 1968, les membres du colloque, » profondément troublés par l’inadaptation d’un système éducatif hérité du XIX°siècle « s’accordent sur » l’urgence d’une rénovation éducative aussi bien que pédagogique qui ne saurait être différée sans risques de sérieuses tensions psychologiques, économiques et sociales « . Le rapport final indique » les grandes lignes d’une rénovation pédagogique « , et stigmatise « les excès de l’individualisme qui doivent être supprimés en renonçant au principe du classement des élèves, en développant les travaux de groupe, en essayant de substituer à la note traditionnelle une appréciation qualitative et une indication de niveau ( lettres A,B,C,D,E ) « . »
Cette expérience, pensée deux mois avant mai 1968, ne dura que quelques années et fut donc instaurée par la droite gaullienne. De quoi relativiser d’une part les positions de la droite, d’autre part l’influence supposée post-soixante-huitarde sur l’idée de supprimer les notes.
Parallèlement, examinons la ligne de front syndicale plus nette qui apparaît aujourd’hui sur cette question. Pour Roland Hubert, du SNES, la note n’est pas le moins mauvais des systèmes (12/10/12, café pédagogique). Pour le SNALC, la suppression de la note est impensable. Beaucoup éludent volontiers la question de peur d’affronter justement des incohérences qui fâchent. En effet, difficile de se prétendre « progressistes » ou « révolutionnaires » et de défendre ostensiblement un système de notation intrinsèquement injuste et inégalitaire, et qui fige le système scolaire. Surtout, comment organiser le tri des élèves à la sortie du collège sans cet outil magique… ? Mieux vaut finalement fermer les yeux, pour ceux qui se disent très attachés à la réussite de tous…
2. Sur le terrain, concilier notes et compétences, c’est chronophage !
Il faut en revenir à une notation plus positive. C’est le credo du ministre Vincent Peillon, et d’autres acteurs du système éducatif, qui plaide pour plus de bienveillance dans l’usage de la note. Mais le socle commun de connaissances et de compétences, ainsi que l’approche par compétences, restent l’objectif prioritaire de la scolarité obligatoire, réaffirmé par le ministre. Des notes, des compétences, et au milieu, des profs et leurs élèves… Comment s’en sortir ?
Pour nous, c’est un vœu pieu et l’équation avec l’évaluation par compétences est illusoire. Car la première caractéristique des notes et des moyennes, c’est d’être un renoncement !
Quelques extraits :
« Nous positionnons en permanence l’élève devant une norme parfaite et prescrite, issue du programme, face à laquelle se construit une autre « norme », la moyenne de la classe, correspondant au « réel » de la classe. Si l’on se penche sur les moyennes (obtenues par de savants calculs coefficientés), ce « réel » est biaisé. Que l’on fréquente un établissement de centre-ville ou de ZEP, avoir 16 de moyenne générale n’a pas la même valeur. Les effets de la constante macabre montrent aussi la répartition implicite qui s’opère dans le classement des élèves. De la 6e à la 3e, on observe enfin une lente et perceptible baisse de la moyenne de classe, « parce que le niveau augmente » ! Tout ceci semblant presque « naturel ». Ces constantes s’expliquent par des mécanismes protecteurs de la part du professeur, obnubilés tant par la réussite des élèves, que par la moyenne que l’on présente en conseil de classe. La moyenne d’un élève n’a de valeur que mise en rapport aux autres élèves de la classe. Elle permet de situer l’élève par rapport aux autres, et la moyenne de classe de situer celle-ci par rapport aux autres. Les logiciels de gestion de classe comme Pronote nous fournissent des visualisations graphiques de ces moyennes qui permettent un jugement instantané, simplifiant l’analyse du bilan trimestriel des élèves. Ce système est institué.
La norme « réelle » instituée est en soit un renoncement. En poussant l’analyse, elle évalue indirectement la mise en oeuvre du programme de l’enseignant par l’écart plus ou moins important de la moyenne avec la norme prescrite, dont tout le monde aura compris qu’elle constitue un horizon inaccessible. Ce système pervertit les apprentissages, notre coeur de métier. D’une part, la norme « réelle » issue des moyennes générales dit peu des apprentissages. Elle permet de caractériser un niveau général, des points forts et des points faibles par matière, de sanctionner un manque de travail associé à un comportement ou de féliciter les élèves qui se rapprochent le plus de la norme prescrite. Voici peu ou prou le rôle d’un conseil de classe, avec en sus la gestion de l’orientation de l’élève. D’autre part le système maintient les élèves sous une pression constante de résultats.
La logique du socle commun et du travail par compétences est d’un autre ordre paradigmique, qui efface une partie des effets pervers de système de notation (sans prétendre résoudre à elle seule tous les problèmes scolaires des élèves). Aussi la double-évaluation est-elle, dans le cadre du système institué, à éviter. La double-évaluation plaquerait inévitablement les effets pervers de la notation sur un système qui doit valoriser les progrès et nommer les compétences à travailler, tout en fixant un horizon accessible et balisé. Elle introduirait subrepticement la logique du renoncement en s’inscrivant dans le jeu tronqué des normes prescrites et réelles. »
L’intégralité de l’article :
http://spoutnikogik.blogspot.fr/2011/02/notes-et-competences-quelle-equation.html
- La fin des notes, c’est bien joli, mais comment va-t-on orienter les élèves ?
« Moi, je veux bien ne plus mettre des notes, mais c’est le système qui est ainsi et qui nous l’impose. » « Et comment faire pour l’orientation des élèves ? »
Pas faux chers collègues. Bien que la nécessité de noter ne s’impose réellement qu’à la classe de troisième, pour d’une part le brevet des collèges, d’autre part l’orientation.
Concernant l’orientation, écoutons Bernard Desclaux, directeur de CIO, qui renverse la question de savoir s’il faut des notes pour l’orientation des élèves :
« Donc reste la question épineuse “combien faut-il pour passer ?”. Et l’on obtient la fameuse réponse de Fernand Reynaud (pour les anciens, l’histoire du fut de canon) : “ça dépend” ! Mais ça dépend de quoi au fond ? En résumé cela ne peut dépendre de rien de sérieux puisque dans ces différentes opérations la nature des performances à été effacée par l’opération de la notation. On n’obtient plus qu’un système de comparaison-hiérarchisation des élèves de la classe. Depuis l’apparition des logiciels de traitement de notation, les choses ont d’ailleurs empirées. Leur capacité de visualisation des comparaisons et autres statistiques étant très importante, les conseils de classe se passent de plus en plus dans une fascination face à l’écran. Les chiffres et les courbes de plus en plus sophistiquées se multiplient, et les “systèmes d’évaluation” l’emportent sur une réflexion sur l’évalué. Maintenir la notation permet ainsi d’éviter la question épineuse “qu’est-ce qui a été appris ?”. Mais pas seulement cette question… Il y en a une autre qui est évitée et qui en le faisant maintient la paix scolaire : “quelle justification donner à cette note ?”. »
http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2012/07/17/la-notation-et-la-procedure-dorientation/
Bernard Desclaux nous demande d’ouvrir les yeux et de prendre le temps d’examiner la façon – biaisée – dont nous orientons les élèves.
Mais, le système sera-t-il meilleur avec les compétences ? N’existe-t-il pas, comme pour les notes, des biais d’évaluation pour les compétences ? Que nous livre la recherche en didactique sur cette question ? Quid également de l’évaluation de toutes les expérimentations des classes #sansnotes dans les collèges et les les lycées ? Il serait en effet illusoire de croire que la simple suppression de la note réglerait tous les problèmes du système éducatif, bien qu’elle en fige et provoque un certain nombre… Dans notre prochain dossier, « et maintenant, on passe aux compétences ? », nous ouvrirons la deuxième partie du débat, avec des spécialistes, des expériences de terrain, des interrogations, donc, et des convictions à faire valoir.
Bonjour Anthony,
1.Une idée de gauche ? Oui, incontestablement. La difficulté, c’est que du coup on aurait tendance à dire, dans une sorte de phraséologique « gauchisante » que les notes sont de droite. Ce qui est évidemment absurde. L’approche d’Antibi, qui est de conserver les notes mais de les rendre justes, montre que la situation est plus complexe. Mais pour l’essentiel oui, la suppression des notes est portée par des gens qui ont des valeurs de gauche.
2. Le côté chronophage du double système « évaluation par compétences / évaluation chiffrée » est là aussi à mon avis indiscutable. C’est d’ailleurs le premier grief fait par les enseignants pour passer à l’évaluation par compétences. Et ils ont raison. Mais quand je préconise, dans ce cas, d’alléger, voire de supprimer, l’évaluation chiffrée, en général, ça coince. Problème de culture et de formation, sans doute.
3. Comment va-t-on orienter les élèves sans notes ? Et bien … en arrêtant de les orienter, en jouant pleinement notre rôle de conseil et d’alerte. A charge ensuite pour les familles de prendre leurs responsabilités. C’est une question de définition d’un Service Public. Je suis pleinement en accord avec les réflexions de Bernard Desclaux à ce sujet.
Lionel Jeanjeau
Pour ceux que ça intéresse, deux articles à ce sujet sur mon propre blog :
« Les pré-requis à la suppression des notes » : http://lioneljeanjeau.canalblog.com/archives/2012/10/07/25267846.html
« En finir avec les notes, une idée qui fait son chemin » : http://lioneljeanjeau.canalblog.com/archives/2012/08/28/24985445.html
Antony, le colloque d’Amiens, ce n’est pas la droite gaullienne. C’est une initiative associative (AEERS : Association d’étude pour l’expansion de la recherche scientifique.) à laquelle sont conviés des politiques, des membres de l’Inspection etc. Mais l’inspiration du colloque relève du bouillonnement sur l’éducation nouvelle en effet antérieur à mai 68 mais plutôt proche des réseaux gauche chrétienne. C’est Antoine pros qui y est présent pour le SGEN par exemple. Peyrefitte fait le discours de clôture (700 personnes) et bien-sûr s’enthousiasme pour tout (c’est un politique) mais les réflexions finales sont faites par un mathématicien : André Lichnerowicz
Merci Laurence pour cette précision sur l’origine du colloque d’Amiens. L’expérience que je cite, celle d’abandonner les notes par un système de lettres a bien été prise par un gouvernement gaulliste, et son ministre Edgar Faure. Ce que je voulais souligner, c’est qu’à ce moment-là, la question d’abandonner les notes n’était pas prisonnière d’un camp politique, comme cela semble être plus le cas aujourd’hui, du moins au regard des réactions très vives de nombreuses personnalités de droite sur ce sujet. Mais je continue de penser que les frontières sont plus floues qu’une simple rupture droite-gauche sur la question de l’abandon des notes.
Antoine Prost a d’ailleurs évoqué à Blois, aux rendez-vous de l’histoire, le rôle de la note dans la conception des épreuves du bac, sans que je sache bien s’il s’agit d’une remise en cause, d’un simple constat, ou d’une défense de ce principe.
1. Oui les réacs de gauche ça existe aussi… Surtout à gauche de la gauche. Ils flirtent assez souvent avec la droite sur les aspects élitistes mais au nom de l’excellence pour tous. Bref c’est de l’habillage ou plutôt du « masquage ». Au moins les syndicats de droite avancent à visage découvert sur cette question de la notation et assument publiquement.