L’aide aux devoirs peut-elle être efficace ? Interview de S. Kakpo et J. Netter

Suite à la publication de l’article intitulé : l’aide aux devoirs ne permet pas de lutter contre l’échec scolaire, nous avons interrogé les chercheurs Séverine Kakpo et Julien Netter afin d’éclairer leur enquête.
 

1. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris lors de votre enquête ?

Notre enquête montre que les élèves peinent terriblement à accéder à une réelle autonomie face à leur travail, c’est-à-dire à choisir la bonne opération cognitive à mettre en œuvre, et à la réaliser. Cela ne signifie pas que ce soit le cas pour tous les enfants, mais c’est très net pour les élèves de milieu populaire que nous avons observés, qui ne disposent pas de tous les prérequis que l’école exige. Or leurs enseignants ne se rendent que très peu compte de cette difficulté. Il y a là un hiatus d’une ampleur étonnante.

2. À quelles conditions l’aide aux devoirs peut-elle être efficace ?

Nous avons observé qu’il peut y avoir une aide efficace lorsque plusieurs conditions sont réunies, ce qui ne rend pas les choses très simples. On pourrait en dénombrer au moins quatre. Il faut tout d’abord que l’intervenant puisse dégager assez de temps pour aider un enfant, soit que cet enfant n’ait besoin que de peu d’aide, soit que l’intervenant encadre peu d’élèves ou que les élèves qu’il encadre soient très autonomes. Il faut par ailleurs qu’il décide de s’engager dans une démarche de long terme, c’est à dire qu’il utilise plus les devoirs comme prétexte à un travail que comme une fin en soi. Il faut également que l’élève accepte de s’engager dans cette voie, ce qui suppose une certaine confiance et l’oubli de la fatigue. L’intervenant doit enfin être capable de mettre en œuvre des gestes professionnels complexes, pour lesquels les enseignants sont assez bien outillés. Il est beaucoup plus facile de réunir ces conditions quand les élèves n’ont besoin que d’une aide très légère, c’est-à-dire que les notions sur lesquelles les devoirs s’appuient sont convenablement assises.

 

3. Les conclusions que vous tirez de l’exemple que vous avez étudié sont-elles généralisables ?

Notre étude montre que tout dépend des difficultés des élèves face à la prescription, mais que ces difficultés sont très sous-estimées par les enseignants. Dans la ville où nous avons travaillé, elles sont très importantes, ce qui explique nos conclusions. Ces conclusions sont cependant corroborées par d’autres recherches, aussi bien à l’école élémentaire qu’en collège ou lycée, et les enseignants auxquels nous avons présenté nos résultats ont reconnu une grande proximité avec les situations qu’ils vivent.

 

4. Peut-on prétendre lutter contre l’échec scolaire sans remettre en cause la pratique actuelle des devoirs ?

La pratique des devoirs est un facteur d’accroissement des inégalités, et notre article donne des éléments qui permettent d’expliquer ce phénomène. Pour autant, il nous semble difficile d’en appeler à une interdiction des devoirs, qu’aucun texte de loi n’a jamais réussi à imposer à l’école primaire. Patrick Rayou a bien montré que les devoirs répondent à un compromis social qui explique une bonne part de leur succès. La solution serait peut-être dans la recherche par les enseignants de ce qui constitue un travail à la fois réalisable par tous les élèves et non nuisible. Nous espérons, par notre étude, aider les enseignants dans cette voie en soulignant les principaux écueils auxquels les élèves sont confrontés.

 

La référence de l’enquête :

Séverine Kakpo et Julien Netter, « L’aide aux devoirs. Dispositif de lutte contre l’échec scolaire ou caisse de résonance des difficultés non résolues au sein de la classe ? », Revue française de pédagogie [En ligne], 182 | 2013, mis en ligne le 28 août 2015, consulté le 02 septembre 2013. URL : http://rfp.revues.org/4003

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