Suite de l’interview de Paul Marciano, pédopsychiatre. Comment aider des élèves en difficultés ? Que mettre en place pour aider les enseignants à réfléchir sur leur pratique professionnelle ?
IV – Que doit faire un enseignant prioritairement pour aider efficacement un enfant rencontrant des difficultés scolaires importantes ?
Il conviendrait d’abord de repérer si ses difficultés sont anciennes ou récentes, circonstancielles ou pas, si elles concernent l’ensemble des matières scolaires ou certaines plus précisément. Et enfin essayer d’identifier les difficultés de l’enfant qu’il est à côté de l’élève qu’il tente de devenir ou de rester.
1 – Circonstancielles
Pour dire que ses difficultés peuvent être liées à un moment délicat de la famille : séparation parentale, maladie, abandon de la part du père, décès d’un proche… Toutes causes qui viennent ainsi détourner l’enfant de son investissement scolaire dans la mesure où son esprit est alors mobilisé pour tenter de surmonter l’inquiétude, la tristesse, la peine liés aux événements douloureux qu’il traverse.
2 – Les échecs plus durables et anciens imposent un bilan à la recherche de leurs causes et de leur sens. Les différentes composantes de ces investigations seront dictées par le type de troubles dans les apprentissages sans qu’il soit possible de tous les énoncer ici.
Ce serait par exemple : un bilan cognitif, psychologique avec parfois des tests de personnalité, un examen orthophonique, un bilan audio-phonologique en fonction d’éventuels troubles du langage et de la parole ; un examen psycho-moteur dans la mesure où très souvent la mauvaise organisation du schéma corporel est impliquée dans les décalages au niveau des apprentissages ou quand par exemple l’enfant ne se sent pas à l’aise dans son corps qui ne lui procure pas de sécurité et qui, lui semble-t-il, ne constitue pas une efficace barrière de protection.
Enfin un entretien avec les parents devrait venir compléter cette enquête et permettre de connaître plus précisément les dispositions de l’enfant vis-à-vis de l’école en écho à celles de ses parents. En bref, quels regards portent-ils sur l’enseignement et le savoir en fonction de leurs propres expériences. Il n’est pas rare à ce propos de constater combien certains parents discréditent l’école, non pas forcément ostensiblement mais de manière latente, voulant signifier par là que l’éducation de leur enfant leur appartient à eux et à eux seuls.
Au terme de ces investigations, il importera de ne pas retenir de manière excessive l’idée d’un déficit psycho-intellectuel car les vraies insuffisances intellectuelles sont plutôt rares. Tandis qu’à l’inverse, il serait précieux d’approcher au plus près les ressorts médico-psychologiques : tel un trouble précoce de l’audition, un retard d’apparition du langage, une maladresse gestuelle et une incoordination fine des extrémités, une maladie ayant nécessité des soins importants avec de manière corrélée un sentiment d’angoisse de mort chez les parents et l’enfant, enfin certaines carences éducatives…
Les investigations psycho affectives permettront quant à elles de déterminer s’il s’agit d’une inhibition à apprendre dans la mesure où certains enfants ont peur de se confronter à des savoirs scolaires qui les « convoquent » peut-on dire devant d’autres savoirs concernant leur histoire ou leur préhistoire et qui risquent de les faire vaciller tellement l’approche de certains événements douloureux précoces font réémerger une angoisse déstabilisante…
Il peut s’agir aussi d’états dépressifs de l’enfant puisque l’on sait désormais que les manifestations dépressives affectent les processus cognitifs qui sont alors significativement invalidés… Il peut s’agir de phobies scolaires qui sont liées à la peur d’aller en classe (peur de se retrouver dans cet univers singulier, face aux pairs, aux enseignements, à la peur de l’échec) mais aussi à la crainte de devoir quitter la maison dans la mesure où l’enfant appréhende qu’en son absence de graves événements risquent d’arriver et qu’il se place alors dans l’obligation de rester au domicile pour tenter de les conjurer.
Par ailleurs, quand se mettent en place différents dispositifs d’aides à l’enfant, il me semble essentiel que tous les professionnels concernés, enseignants compris, se rencontrent, échangent, s’instruisent mutuellement dans la perspective de comprendre au plus près le sens des troubles des apprentissages. L’enfant et ses parents se montrent généralement très sensibles à ce travail conjoint et coordonné.
Ils peuvent dès lors avoir de la prise en charge de leur enfant une représentation harmonieuse, « liée » sans trop de clivages ou dissonances, témoins de l’investissement soutenu des professionnels et peut être la preuve que leur enfant pourra mieux avancer.
Il est déterminant, par ailleurs, que l’enseignant et l’ATSEM n’aient plus ce désagréable et pénible sentiment de se retrouver seuls face aux difficultés. Surtout quand les parents, par facilité ou par déni, mettent en avant la seule responsabilité de l’école dans le malaise de leur enfant.
Nous aimerions ajouter pour terminer qu’il conviendrait selon nous de ne pas trop céder lors de ces investigations diagnostiques aux mirages des nouvelles nomenclatures qui ayant revêtu une coloration d’allure scientifique font souvent illusion et cachent parfois une réalité plus complexe. Nous pensions ici aux appellations « dys… » qui font florès et qui ont, me semble-t-il, comme spécificité certes de nommer un trouble en ayant malheureusement tendance à occulter ou passer sous silence les avatars et embûches que rencontre cette fois l’enfant lui-même dans ses processus d’acquisition.
V – Les expériences avec le monde enseignant
Elles datent quant à moi du début de ma carrière hospitalière d’autant que la collaboration entre les services de pédopsychiatre et l’éducation nationale est très ancienne. Elle est riche et féconde et marquée par des rencontres, des réunions d’équipes pédagogiques, des publications communes (cf. le livre « Enseigner et transmettre »), des colloques conjoints, des séances de supervision, d’analyses des pratiques… l’ensemble étant densément propice à d’indispensables enrichissements réciproques.
A – Nous dirions que l’École Maternelle plutôt que de tenter de singer le primaire, devrait poursuivre ce que le milieu familial a peut-être commencé, à savoir la présentation du monde. Le monde de l’école « peuplée » de ces nouveaux adultes… le monde des pairs avec leurs différences et leurs singularités éducatives, émotionnelles et culturelles… le monde des langues, des cultures, des musiques, le monde des autres… le monde de la famille aussi dans la mesure où l’enfant à l’école sera d’autant plus apaisé et rassuré qu’il aura le sentiment que, même dans ce nouveau cadre, il ne devra pas renoncer au monde de la maison parfois si différent. Et enfin approcher son monde interne, encore si étranger à maints égards avec ses talents, ses savoirs intimes, ses émotions, ses peurs, mais aussi ses inconnues…
En somme un rapport à une nouvelle communauté dans laquelle il va pouvoir s’inscrire d’autant plus facilement qu’il n’aura pas à renoncer à sa communauté d’origine, à sa langue maternelle et à certains codes familiaux. C’est-à-dire penser cette différence sans renoncement à ce qui fait son histoire et sa singularité, son sentiment d’appartenance à un « lignage ».
B – Les médiateurs et leurs objets : le savoir faire et le savoir être
1 – Nous pensons, bien sûr, aux jeux collectifs et individuels marqués du sceau de la créativité… aux constructions de marionnettes et aux jeux de rôles qu’elles autorisent en même temps, qu’elles soutiennent, l’avènement de l’image de soi… aux jeux moteurs pour un rapport harmonieux, paisible et global au corps et à ceux des autres (la mobilité à l’intérieur de la classe est largement préconisée avec l’éloge de la station debout reconnue comme plus propice à la maîtrise de l’objet)… La lecture d’histoires, de fables, de légendes, de mythes qui viendra développer le plaisir de la fonction phonique, et l’activité de représentation mentale qui y est liée en fonction de ce que les histoires évoquent… histoires et contes propres à notre culture ou à d’autres qui inscrivent ainsi l’idée d’un ailleurs et favorisent en même temps une possible ligne de fuite pour la pensée et la rêverie…
2 – Mentionnons à cet effet l’intérêt de régulières scansions du temps de la classe par ce fameux jeu appelé « le roi du silence » durant lequel les enfants doivent pendant quelques instants rester silencieux. Le roi étant celui qui est parvenu à ainsi respecter la consigne. Notons à cet égard, l’importante question du bruit et son incidence différente en fonction de chaque enfant : effet rassurant de ce brouhaha, ou sentiment désagréable d’intrusion et d’envahissement…
3 – La régulière confection d’histoires ou d’anecdotes, propres cette fois à la classe est essentielle et déterminante. Les enfants y sont aussi les auteurs en utilisant leur prénom afin de les aider à intérioriser le sentiment que chacun et tous participent à une histoire commune en train de se dérouler, qui marque ainsi le temps qui passe, inscrit l’idée de continuité et favorise une sorte de tradition narrative. Une histoire singulière qui appartient à une histoire commune tressée de chacun des sujets.
Le dessin quant à lui vient toujours à point nommé pour soutenir la main dans sa maîtrise, son langage, sa coordination avec l’œil, ses capacités créatrices qui peuvent d’ailleurs être catalysées par la poterie, la pâte à modeler qui signent l’emprise sur l’objet… moments de création qui peuvent intervenir après la narration d’un conte ou l’audition d’une musique ou d’un chant et qui renvoient l’enfant à ses processus d’imagination et de représentation (élément fondamental dans la mesure où l’on constate plus tard que nombres d’enfants qui finissent par maîtriser la lecture, n’ont cependant aucune représentation mentale de ce qu’ils lisent… aucune image). Rappelons à cet effet l’importance déterminante de la musique.
4 – Parmi tout cela accordons une place précieuse aux instants de rêverie, et à l’ennui dont on connaît l’incidence structurante en tant que moments auto-centrés… durant lesquels l’enfant laisse vaquer ses mouvements intérieurs…. Il s’agit donc d’un sain retour sur soi, réorganisateur durant lequel l’enfant est absent ailleurs… peut-être à la maison afin de pouvoir par le biais de sa « pensée magique » maîtriser l’absence, les rivalités, les conflits quand il y en a, et donner même en son absence un statut d’existence aux choses, et aux êtres qui ainsi continuent d’exister comme d’ailleurs lui-même.
5 – Les groupes de parole libre ou à thèmes à l’instar de certains « ateliers philo » pour tout petits permettent de développer les processus de communication, d’échange, de respect de la parole de l’autre et aident à la mise en mots…
Ces groupes de parole pourraient être « verticaux » constitués par des enfants des 3 niveaux de maternelle afin de favoriser ces mécanismes d’identifications réciproques. Ils pourraient se dérouler à propos de lectures faites par l’enseignant ou l’ATSEM, ou d’histoires inventées toujours racontées en face à face. Soulignons à ce propos ce qu’évoque Emmanuel Levinas (dans « Ethique et infini ») « Le visage parle. Il parle en ceci que c’est lui qui rend possible et commence tout discours. La relation au visage est d’emblée éthique ». Elle ouvre au monde à travers le visage de l’enseignant.
6 – Nous vantons aussi l’idée de compagnonnage. Un aîné aide un plus petit ou un alter ego et peut ici aussi devenir un modèle identificatoire. Nous avons à ce propos constaté combien certains enfants, en retrait ou en difficulté, avaient la capacité de s’identifier aux processus de réflexion d’autres qui viennent ainsi les soutenir, pour s’en inspirer à leur tour.
L’enseignant et l’ATSEM ont pour tout cela des prérogatives complémentaires dès lors qu’ils sont soucieux de leur fonctionnement harmonieux et en lien : en somme un binôme aux relations déconflictualisées, auquel l’enfant pourra s’identifier pour continuer d’appréhender le monde à travers ce couple devenu lui aussi référence.
C – Le soutien, l’étayage, l’accompagnement des équipes enseignantes doivent désormais être formalisés. Il s’agit de partages d’expériences, de recherches conjointes, d’analyses des difficultés, d’approches innovantes… une façon aussi de conjurer un pénible sentiment de solitude et d’abandon qui gagne parfois certains enseignants devant une mission de plus en plus complexe du fait d’enfants issus de milieux sociaux et culturels très marginalisés et parmi lesquels les parents ont développé des rapports très conflictuels avec l’École et les apprentissages.
D – Comme nous le disions déjà plus haut, ces rencontres peuvent prendre la forme de groupes de parole, d’analyses de pratiques voire de groupes « Balint ». Elles ont fait la preuve de leur très grande utilité et peuvent concerner des enseignants d’une seule et même école maternelle voire de plusieurs ensemble. L’animateur est extérieur à l’institution scolaire. Ce peut-être un psychologue ou un pédopsychiatre appartenant au service hospitalier de pédopsychiatrie et qui pourrait ainsi intervenir par le biais de conventions signées entre les deux institutions.
- La prise en compte de la place des parents est désormais établie comme une impérieuse nécessité. Elle pourrait permettre de conjurer l’émergence de conflits, une éventuelle atteinte narcissique quand l’enfant ne s’adapte pas en classe ou un douloureux sentiment d’exclusion surtout quand les parents n’appartiennent pas encore à notre communauté.
Cette prise en compte pourrait aussi les amener à considérer ce lieu comme « bon » pour leur enfant capable de l’aider à grandir et maîtriser les acquis présents et futurs. L’on a tout banalement constaté combien l’investissement de l’enfant vers cette école était soutenue quand celui des parents l’était aussi. Dès lors, ils autorisent leur progéniture à continuer d’apprendre même en dehors d’eux, en témoignage de leur ferveur.
Une prise en compte qui tenterait enfin de prévenir et d’amoindrir un possible sentiment de « persécution » devant une institution qui pourrait parfois paraître hostile, peu accueillante et peu tolérante aux yeux de certains parents. Il convient à ce propos de rappeler combien leurs enfants se montrent sensibles au respect dont ils bénéficient par le corps enseignant vers lequel les élèves se mettent dès lors à déployer de forts mouvements transférentiels tout à fait propices cette fois à leur propre bien être. Les rencontres avec les parents pourraient se dérouler sous la forme de groupes réunis régulièrement et animés par un médecin de PMI si sa formation dans ce domaine le permet ou par un psychologue de l’éducation nationale.