Quel est le problème avec les maths ?

Cet article est une synthèse de la table ronde organisée par le SE-Unsa dans le cadre d’une journée d’étude et de réflexion intitulée “Les maths, c’est quoi le problème ?” qui s’est déroulée le 19 octobre dernier.

Les participants à cette table ronde étaient : 

  • Martin Adler mathématicien, professeur émérite à l’université St Quentin
  • Nathalie Sayac professeure des universités en didactique des mathématiques à l’université de Rouen-Normandie, a été enseignante 10 ans en lycée-collège, s’intéresse depuis 20 ans à la formation en mathématiques des professeurs des écoles et directrice de l’Inspé de Normandie Rouen-Le Havre 
  • Véronique Chauveau présidente d’honneur de l’association femmes et mathématiques, a enseigné les maths pendant 43 ans
  • Mélanie Guenais maitresse de conférence à l’université Paris-Saclay, vice présidente de la société mathématique de France en charge des questions d’enseignement – coordonne un grand collectif d’associations dont fait partie Femmes et maths et la société mathématique de France

Une discipline à part ? 
Les mathématiques ont une place spéciale dans notre système scolaire, notre imaginaire et notre culture ; on les vit comme étant à la fois élitistes et plus faciles d’accès aux garçons. 

Pourtant, il s’agit d’une discipline comme les autres, parmi les autres, mais nous en avons une représentation différente, élitiste et genrée, héritée de notre histoire1. Notre système scolaire était au départ réservé à une élite et aux garçons. Même si c’était il y a longtemps et que les choses ont évolué avec la massification, cet élitisme initial et cette défiance du genre imprègne notre inconscient collectif. Les mathématiques n’étaient pas considérées comme étant aussi “pour les filles” destinées avant tout à devenir de bonnes épouses, les garçons sont plus spontanément reconnus comme pouvant être “bons en maths”. Avec la massification le public scolaire a changé et on n’a pas appris aux profs à s’adapter à tous les élèves, à identifier leurs difficultés et à trouver des parades.

Aussi, on ne creuse pas assez les mathématiques pour ce qu’elles sont, nous en avons une vision étriquée, trop techniciste dans laquelle il n’est pas forcément utile de réfléchir. Il y a aussi l’idée très répandue qu’en mathématiques on cherche à obtenir LA réponse attendue, avec LA méthode canonique. Il arrive souvent qu’une résolution originale ne soit pas repérée comme pouvant être exacte ou efficace.

Pourquoi cet a priori genré ? 
La question des filles et des sciences est générale dans les pays européens, mais pas au niveau mondial :  il y a par exemple beaucoup de filles scientifiques et matheuses en Afrique du nord et en Turquie parce que c’est une porte de sortie pour elles. Pourtant il n’y a pas de différences de compétences en mathématiques entre les filles et les garçons : c’est avéré par les études, mais les stéréotypes ont un fort impact. 

L’histoire de l’informatique2, où il y avait essentiellement des femmes au départ, qui s’en sortaient parfaitement bien, et où les hommes ont progressivement pris toute la place, au fur et à mesure de son développement illustre bien un mécanisme sous-jacent. Là où il y a du prestige et du pouvoir, les hommes prennent la place. Cet exemple permet d’être convaincu, parce que l’on n’est pas forcément convaincu, que les garçons et les filles peuvent faire des mathématiques. Il y a toujours un soupçon contre les filles, un “et si c’était vrai ?”. Au delà du lycée, dans l’enseignement supérieur, plus il y a de maths et d’informatique, moins il y a de filles. En prépa littéraire on a 71% de filles, en prépa scientifique 31%, en prépa MP (maths-physique) étoilées 15%. 

Concernant les inégalités filles-garçons, la France n’est pas pas plus mauvaise que les autres pays, mais dans la partie la plus sélective de notre enseignement supérieur (ENS, polytechnique, écoles d’ingénieur : écoles hyper sélectives en maths, informatique, sciences physiques) la différence filles garçons est très marquée chez nous alors que d’autres pays ont fait plus de progrès. 

Une expérience a été menée avec des étudiantes et des étudiants répartis aléatoirement dans 3 salles avec un exercice difficile à effectuer : dans une salle on a nié les stéréotypes en disant avant l’épreuve que les filles réussissent autant que les garçons, dans une autre il a été dit que les filles réussissent moins bien que les garçons et dans la dernière rien n’a été dit de particulier. Dans la salle où le stéréotype a été énoncé, les filles ont échoué davantage, elles ont mieux réussi dans la salle où le stéréotype a été nié. 

Les stéréotypes sont diffusés en permanence, à doses homéopathiques, à notre insu, cette expérience montre que si on les réactive on empire la situation. Cela a pour conséquence que les filles se brident, il faut faire attention quand on dit qu’elles n’ont pas confiance en elles car cela rejette la responsabilité sur leurs épaules, alors que c’est de la responsabilité de la société. La société leur dit que ce n’est pas leur place : si elle disait “c’est difficile mais c’est pour vous”, leur réussite serait meilleure. Les sciences n’ont jamais été aussi cruciales pour notre avenir avec les enjeux auxquels nous sommes confrontés, les mathématiques sont accessibles à toutes et tous, tout le monde en est capable, chacun selon ses appétences. Or, les premiers effets de la réforme du lycée ont une influence sur des choix précoces à faire ou non des mathématiques qui ne vont pas dans le bon sens, il faut agir ! 

Et les inégalités sociales ? 
Les études internationales montrent que le poids des inégalités sociales est très fort en France. Les mathématiciens ont longtemps pensé que les mathématiques étaient à l’abri de cette inégalité ; ce serait l’héritage culturel qui serait en jeu, pas les maths selon une version mal digérée de Bourdieu. En réalité c’est une illusion, notre enseignement est traditionnellement hyper théorique et empreint d’un perfectionnisme théorique qui complique la tâche des étudiants en insistant sur le formalisme au détriment du fond. 

Concrètement, tous les ans naissent 800 000 bébés, sur une cohorte, nous avons besoin de 200-300 très bons pour faire des thèses en mathématiques et de la recherche, et autant en physique et en informatique. Il faut aussi former des cadres scientifiques, des profs de maths, de physique, d’informatique et des ingénieurs en nombre. Est-ce que c’est de l’élitisme de dire qu’on a besoin de former 10-15-20% d’une classe d’âge avec un haut niveau scientifique ? Ce qui est certain, c’est que pour le moment, on n’en a pas du tout assez. On continue à être très bons pour former des mathématiciens de haute volée. mais on est déficient concernant les cadres scientifiques (ingénieurs, profs de maths…).

Cela donne une excellente raison de permettre aux filles d’avoir envie et d’accéder à des formations scientifiques de haut niveau mais ce n’est pas la seule. Notre société ne peut ni ne doit se priver de 50 % de ses talents, pas seulement parce qu’il est prouvé que les équipes mixtes et diverses ont une meilleure performance, mais parce que cela fait bouger les entreprises, que nous en bénéficions tous et qu’il serait aberrant de laisser les hommes décider seuls de notre avenir. Faire des études à forte composante mathématique ou informatique permet d’exercer des métiers valorisés, valorisants et rémunérateurs, il n’y a aucune justification pour refuser cela aux femmes.

Une reproduction des inégalités à repérer et combattre
Actuellement nous sommes en train de prendre conscience que les algorithmes et l’intelligence artificielle reproduisent des discriminations fondées sur la couleur de la peau, l’âge ou le genre parce que ces productions sont le miroir de nos représentations sociales et culturelles et massivement conçues et développées par des hommes blancs. Si nous voulons que ces outils puissants d’interprétation du réel n’amplifient pas les discriminations et les dérives de notre société, il faut diversifier le profil des personnes qui les élaborent.

La vision élitiste et genrée que nous avons des mathématiques est nuisible pour notre avenir (et pour notre présent !)  il y a un gros travail à faire pour déconstruire cette image.

Pour découvrir les propositions concrètes de nos intervenants : « Comment casser les représentations genrées et élitistes des maths ? »

1. Voir à ce sujet l’excellent documentaire en 2 parties “Histoires d’une nation : l’école” de France Télévision, disponible en replay jusqu’au 22/02/2023
2. Cf. l’article de Véronique Chauveau “Les stéréotypes évoluent selon le prestige d’une discipline, l’exemple de l’informatique

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