Apprentissage de la lecture : où en est la recherche ?

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Les 15 et 16 décembre derniers un colloque a fait le point sur les recherches concernant l’apprentissage de la lecture.

Roland Goigoux a rappelé en introduction que lire est une activité mentale faussement simple et qu’on apprend à lire par instruction volontaire (contrairement à l’oral). Néanmoins la lecture finit par devenir irrépressible et automatique, c’est le fameux effet Stroop. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de faire faire ce test aux élèves pour qu’ils prennent conscience que même pour eux (apprentis ou faibles lecteurs) ce caractère irrépressible de la lecture est déjà là !

Pour Roland Goigoux les grosses questions de pratiques sont sur la gestion du temps et le dosage des différents éléments. Qu’est ce qui est le plus important ? Comment ne pas perdre de temps ? Selon lui la différenciation pédagogique est un peu vaine car non adaptée à la gestion d’un groupe classe, il vaut mieux “donner des clés aux élèves et leur faire confiance” ainsi que veiller à avoir une forte cohérence entre la clarté cognitive du professeur et celle des élèves. Il préconise de ne pas couper la classe en petits morceaux mais de proposer plutôt des tâches complexes. L’effet maître restant prépondérant, la formation des enseignants est donc plus que jamais essentielle. L’éternelle question de savoir comment la recherche peut irriguer la formation des enseignants (s’il y en avait une) et contribuer à l’enrichissement de leurs pratiques pour plus d’efficacité, se pose toujours.

Quelques évidences ont été dites, mais bon, elles sont confirmées par la recherche et ça c’est quand même rassurant :

– un élève comprend mieux un texte s’il connaît ce dont parle le texte,

– il mémorise plus rapidement et plus sûrement l’orthographe des mots les plus courants,

– la mémorisation des mots se fait mieux si on les copie au lieu de seulement les regarder,

– le travail à partir de l’écriture est une pratique qui a un impact important pour améliorer l’apprentissage de la lecture.

De nombreuses recherches, très pointues ont été présentées, nous apprenant que connaître le nom des lettres (et pas seulement leur “bruit”) est un élément déterminant, qu’accélérer le rythme de l’étude des graphèmes/phonèmes aide les élèves en difficulté (et non le ralentir comme on pourrait le penser), que les activités d’écriture tâtonnée en GS sont un fort prédicteur de réussite, que bien décoder est indispensable mais ne suffit pas pour acquérir l’orthographe car d’autres facteurs interviennent : on peut être bon lecteur et faible orthographieur.

La recherche n’est plus autant axée sur la phonologie et s’intéresse à la compréhension qui est un domaine complexe : y interviennent les connecteurs, les anaphores, les inférences, le contexte, les organisateurs visuels (paragraphes, encadrés…). L’importance de la structure des textes est trop négligée à l’école primaire ainsi que l’ajustement du type de lecture au contexte : un élève est poussé à avoir systématiquement une lecture intégrale et linéaire, ce qui n’est pas le plus efficace pour une recherche d’informations. Cette habileté manque aussi cruellement quand il s’agit de textes électroniques, la tâche se complexifie pour trouver les informations pertinentes. Enseigner la lecture technique au cycle 3 et au collège est important et il faudrait penser à varier les situations de lecture dès le cycle 2 : par exemple proposer parfois tout simplement les questions avant la lecture pour l’orienter vers un but précis.

Franck Ramus a présenté l’état des recherches sur les causes de la dyslexie. Il a insisté sur le fait que ces causes sont en partie génétiques mais aussi environnementales, et que ce n’est pas pour autant qu’on est sur du “déterminé immuable”. Les familles et l’école peuvent et doivent agir, ne pas tomber dans le “c’est génétique” qui correspondrait à “on n’y peut rien”.

En conclusion, on n’en est plus au «tout phonologique», même si cet aspect reste très présent, la composante orthographique est beaucoup étudiée et les recherches sur la compréhension se diversifient.

Attention néanmoins à la tentation de voir l’apprentissage de la lecture comme un mille-feuilles comportant un empilement de programmes “clé en main”. Les chercheurs utilisent des protocoles destinés à montrer l’importance de travailler telle ou telle dimension, mais il ne s’agit en aucun cas de prescriptions pour l’enseignement ! Cela n’est pas sans rappeler l’entraînement standardisé qui était destiné à remédier aux difficultés phonologiques des élèves de GS qui auraient été repérés “à risque” avant que ce projet ne soit retiré. Or du propre aveu du docteur Zorman qui est à la tête du groupe cogni-sciences de Grenoble (qui a élaboré les documents de repérage) « Il n’y a pas de méthode Zorman, et je n’ai rencontré aucun politique directement » a-t-il affirmé à ToutEduc concernant le programme “parler” dont il est aussi à l’origine. Il précise d’ailleurs avoir refusé de participer à une expérimentation “dans l’urgence” instrumentalisée par les politiques et qui ne respectait pas le volontariat et la formation des enseignants. Une analyse de l’utilisation massive des programmes “clé en main” aux USA réalisée par Caroline Viriot-Goeldel pointe que l’utilisation de ceux-ci nécessite une formation des enseignants, qu’il y a un risque que leur rôle se réduise à l’application de procédures “toutes faites” et que la responsabilité pédagogique soit transférée sur les chercheurs. Tout cela pour une efficacité bien difficile à prouver ! Restons vigilants, la recherche ne doit pas standardiser et enfermer mais apporter des informations et ouvrir des pistes…

Enfin au delà de l’aspect “technique” de la lecture, il est essentiel d’intégrer la dimension affective et psychologique : apprendre à lire ce n’est pas seulement acquérir des mécanismes c’est avant tout une question de motivation et de sens.

 Roland Goigoux après avoir été instituteur est aujourd’hui un enseignant-chercheur spécialisé dans les questions de l’enseignement de la lecture


3 réponses à “Apprentissage de la lecture : où en est la recherche ?

  1. Il y a encore loin entre des partenariats »intelligents » entre chercheurs et pédagogues…mais restons optimiste…beaucoup de chercheurs deviennent pédagogues et ..beaucoup de pédagogues deviennent chercheurs…!!

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