Et si on répondait aux vraies questions ?

Claire KrepperUne des missions principales du Conseil Supérieur des Programmes sera de redéfinir le Socle Commun de connaissances, de compétences et de culture, puis les programmes d’enseignement de l’école et du collège en cohérence avec celui-ci. C’est une tâche essentielle pour la refondation de l’école de la République. C’est une tâche éminemment complexe. La définition du socle issu de la loi d’orientation de 2005 n’a pas donné satisfaction. Pas tant le choix de l’inscrire dans le cadre européen des compétences-clés, même si on pourra revenir sur l’option contestable de ne pas retenir la compétence-clé « apprendre à apprendre », que dans la déclinaison de ces compétences-clés en éléments disparates, faisant appel à des cadres conceptuels différents, atomisant les contenus en micro-éléments ne faisant guère sens et débouchant sur des difficultés à évaluer leur acquisition.

Le principe d’un ensemble de connaissances et de compétences dont la Nation doit garantir l’acquisition à tous à l’issue de la scolarité obligatoire fait consensus. Que ces éléments soient qualifiés de « fondamentaux » ou d’« incontournables1 » n’est que de peu d’importance. Leur nécessaire dimension culturelle ne fait pas débat non plus parmi les professionnels de l’éducation. A moins que certains cherchent à créer des clivages là où il n’y en a pas, ou qu’ils confondent dimension culturelle avec entrée disciplinaire. L’« entrée en disciplines » et la « mise en culture » seraient alors pensées, dans un raccourci saisissant et biaisé, comme synonymes.

Les vrais débats sont donc ailleurs.

La maîtrise du socle commun doit permettre, selon la loi, de « poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et se préparer à l’exercice de la citoyenneté. » Ces trois finalités sont, pour nous, d’égale importance. Or, les contenus actuels ne répondent pas à ces trois finalités. Les programmes disciplinaires sont construits principalement dans une logique propédeutique à la poursuite d’études dans la voie générale du lycée, avec les dommages collatéraux qu’on connaît bien. D’autres prescriptions tentent de compléter ces apports disciplinaires : ce sont les différentes « éducations » et les divers « parcours ». C’est également en partie l’objet de la vie scolaire. Mais, on le voit bien, ces autres prescriptions sont considérées comme secondaires et sont peu prises en charge dans les écoles et les collèges. Ne disposant pas de temps identifiés, ne faisant pas l’objet de la formation initiale des enseignants, soumises aux aléas des alternances politiques, elles n’ont pas réussi à s’imposer.

Dans un monde incertain, la scolarité obligatoire peut-elle se contenter de transmettre des savoirs et des savoir-faire ? Peut-elle se contenter d’objectifs minimaux de maîtrise, kit de survie pour ceux qui ne poursuivraient pas leur formation au-delà ? Pour le SE-Unsa, la réponse est non dans les deux cas. Elle doit permettre à chacun de développer des compétences complexes, des véritables « savoir-agir » dans des situations évolutives. Le socle commun, c’est l’ensemble de ces compétences complexes attendues en fin de scolarité obligatoire. Quant aux savoirs et savoir-faire déclinés dans les programmes disciplinaires, ce sont des ressources au service de l’acquisition de ces compétences. Les apprentissages ont alors deux composantes majeures, l’apprentissage des ressources et l’apprentissage de l’intégration de ces ressources pour faire face à des situations complexes. Ces composantes peuvent être travaillées successivement ou simultanément selon les choix pédagogiques des équipes. Les programmes disciplinaires devront donc intégrer les compétences complexes, proposer des situations d’apprentissage et d’évaluation de ces compétences. Quant aux éducations et parcours inter- et transdisciplinaires, ce sont des espaces tout indiqués pour travailler en situations complexes et évaluer les compétences finales attendues, pour peu qu’on leur fasse une place identifiée dans l’emploi du temps des élèves et des personnels concernés.

La définition des nouveaux contenus de formation de la scolarité commune n’est pour nous qu’une partie d’un projet intégré qui prend en compte d’autres dimensions essentielles pour une refondation en profondeur. Et ce sont ces dimensions et leurs conséquences en termes d’organisation des apprentissages et donc d’organisation du travail des enseignants qui vont faire débat. En effet, il serait malhonnête de donner à croire qu’on peut passer d’une école de la sélection à une école de la promotion de tous en conservant les mêmes pratiques, même en injectant des moyens supplémentaires. Il suffit pour s’en convaincre de remonter vingt ans en arrière, au temps où les moyens ne manquaient pas : la démocratisation n’était pas au rendez-vous, non plus.

Pour le SE-Unsa, les dimensions suivantes sont « incontournables » :

  • La continuité éducative : tous les groupes de travail chargé de définir le socle et d’écrire les programmes afférents doivent être inter-degrés. Ils doivent élaborer des contenus par cycle et définir les niveaux attendus de maîtrise des compétences à la fin du cycle. Pour le SE-Unsa, ces cycles sont d’une durée de trois ans (TPS-PS/MS/GS, CP/CE1/CE2, CM1/CM2/6ème, 5ème/4ème/3ème).

  • La centration sur les apprentissages des élèves plutôt que sur l’  « ambition » des contenus : Le caractère irréaliste des programmes actuels fabrique artificiellement l’échec scolaire. Il est temps de se donner des ambitions atteignables pour tous en les formulant en termes de compétences  et en vérifiant leur maîtrise effective. Il est surtout temps de faire la place au travail personnel des élèves (individuel et/ou coopératif) dans le temps scolaire pour que les savoirs soient transformés en connaissances et les connaissances en ressources. Or, des contenus pléthoriques conduisent à privilégier des modes d’enseignement transmissifs au détriment de la mise en projet et en activité des élèves. La consolidation des savoirs reléguée en dehors du champ scolaire accroît les inégalités et fait porter la responsabilité de l’échec sur les élèves et leurs familles.

  • L’évaluation de la maîtrise des contenus : cette problématique doit être prise en compte au moment de leur définition: il faut formuler des compétences sous la forme d’énoncés évaluables. Plusieurs niveaux de maîtrise peuvent être identifiés pour une même compétence (échelles de niveaux de maîtrise des compétences). Les moyennes trimestrielles qui masquent les acquis et les manques et ne servent qu’à classer doivent laisser place à des bulletins de compétences explicites où sont notés les réussites des élèves ainsi que les points à travailler. Le DNB et le CFG doivent être réorganisés en cohérence également.

  • La formation initiale des enseignants : elle doit être pensée en termes de professionnalisation et être fondée sur une approche par compétences et situations complexes. Elle doit faire place au travail en projet et au travail collaboratif, si on souhaite que ces modalités soient développées ensuite avec les élèves. Elle doit installer le besoin d’un développement professionnel continu qui doit être organisé au plus près des équipes d’un même réseau pédagogique du socle.

  • Le travail collectif : le travail en équipe pédagogique et éducative doit bénéficier d’un temps identifié et intégré dans le service des personnels. Véritable espace de développement professionnel, il n’aura de sens que si il permet de construire des réponses collectives aux problèmes éducatifs et pédagogiques auxquels sont confrontés les personnels éducatifs. Il faut développer le pouvoir-agir des enseignants, dans un cadre collectif, où les finalités sont claires et partagées.

La refondation se fera dans les classes, dans les écoles et les établissements, ou elle ne se fera pas. Seule l’association de la communauté éducative à l’élaboration des programmes de formation dans le cadre redéfini du socle commun permettra que tous s’y reconnaissent et s’y investissent. Cette démarche participative peut prendre du temps. Ce temps-là ne sera pas du temps perdu. Tout au contraire, c’est lui qui assurera la réussite de la refondation. Le ministre se dit convaincu que l’action éducative s’inscrit dans le temps long. Nous comptons donc sur lui pour avancer sans précipitation mais avec détermination.

Claire Krepper,

Secrétaire nationale SE-Unsa

1 L’expression est empruntée à la note envoyée par la FSU à Alain Boissinot, chargé de mission par le ministre sur le Conseil Supérieur des Programmes.

4 réponses à “Et si on répondait aux vraies questions ?

  1. « Il est temps de se donner des ambitions atteignables pour tous… » a-t-on le droit de craindre que cela ne se transforme en nivellement par le bas ?
    Par ailleurs, tout ce jargon utilisé dans la présentation des cinq points incontournables, ça a tendance à provoquer une violente réaction de rejet : le « Véritable espace de développement professionnel », par exemple, on dirait de la bonne com’ politique, officielle, vide et bien-pensante, ça donne pas envie, voyez. Alors que je suis d’accord sur pas mal de constats et pas satisfait de la manière actuelle de travailler, comme de certains aspects des programmes. Dommage…

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  3. La peur du nivellement par le bas, c’est celle qui bloque toute évolution de fond de notre école et qui fait que nous sommes maintenant à la traîne de nombreux pays de l’OCDE et champions du monde des inégalités sociales de réussite scolaire. Baudelot et Establet, dans une ouvrage qui a fait du bruit ont expertisé les résultats PISA et ont montré de manière très convaincante que pour progresser notre système scolaire doit maintenant s’attaquer au niveau du plancher (les élèves les plus en difficulté) plutôt que de s’inquiéter du plafond (les élèves les plus performants dont les performances ne sont d’ailleurs pas affectées par une politique centrée sur la réussite des plus faibles). Nous parlons bien ici de la scolarité commune, celle qui doit au moins assurer à tous les élèves, tous les futurs citoyens, les acquis
    nécessaires pour pouvoir mener une vie autonome. L’éducation ne s’arrête pas à ce stade, elle se poursuit même pour 90% d’une génération bien au-delà.
    L’établissement scolaire doit être davantage que maintenant un espace de formation pour ceux qui y travaillent. Progresser dans la pratique de son métier passe par des échanges avec ses pairs, des confrontations, des controverses, la recherche de solutions à des problèmes pédagogiques et éducatifs partagés. Des espaces et des temps collectifs organisés ou spontanés doivent exister. L’apport de chercheurs, formateurs, autres professionnels de la relation éducative est intéressant également. Nous devons aussi réfléchir à des évolutions dans l’exercice du métier tout au long d’une carrière qui sera de plus en plus longue. Valoriser les compétences acquises en permettant à ceux qui le souhaitent d’animer, coordonner, accompagner…

  4. « L’établissement scolaire doit être davantage que maintenant un espace de formation pour ceux qui y travaillent. » Tout à fait en accord, mais alors parlons de véritable formation, pas de ces animations pédagogiques en forme d’alibi qui ne servent qu’à remplir les heures dûes par les enseignants, animations sur le choix desquelles, qui plus est, dans certaines circonscriptions, ces enseignants n’ont plus leur mot à dire puisqu’elles leur sont imposées par la hiérarchie…

    Et vous ne m’ôterez pas de l’esprit que, « se donner des ambitions atteignables pour tous… », c’est se contenter d’un minimum. Quand je constate l’hétérogénéité dans les capacités, au sens le plus large, des élèves de ma classe, je ne peux m’empêcher de penser que me donner pour ambitions ce à quoi les moins bons peuvent parvenir, c’est commettre une très grande injustice vis-à-vis des autres et surtout des meilleurs. PISA ou pas, injustice pour injustice, je préfère encore l’actuelle à celle que vous semblez proposer (ou alors je vous ai mal comprise).

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