« La revanche des nuls en orthographe » – Peut-on ignorer les questions et la méthode d’Anne-Marie Gaignard ?

Le livre d’Anne-Marie Gaignard, La revanche des nuls en orthographe, (Calmann-Lévy, 2012) est le phénomène médiatique de la rentrée. C’est un témoignage autobiographique, mais aussi un « essai » pédagogique, et un ouvrage promotionnel . Anne-Marie Gaignard joue sur plusieurs tableaux, sans laisser indifférent, en racontant son combat – et le mot n’est pas galvaudé – pour maîtriser l’orthographe.

Diagnostiquée dyslexique alors qu’elle est dysorthographique, son parcours scolaire est un enfer : son impossibilité à rédiger correctement au quotidien entraîne difficultés scolaires, mal-être, humiliations, et au final disqualification scolaire, malgré des compétences personnelles qui ne sont pas reconnues par le système scolaire. Seule la formidable force de volonté d’Anne-Marie Gaignard lui a permis, non seulement de surmonter ces épreuves avec la rencontre de personnes qui l’ont éclairée, mais aussi de développer une méthode – miracle ? – pour sauver les enfants et adultes dysorthographiques rejetés par le système scolaire.

La force essentielle du récit autobiographique, et de celui des parcours d’enfants qu’elle suit, est de pouvoir mettre en mot la souffrance des enfants et des adultes confrontés à l’échec scolaire, aux murs qui se dressent devant eux face aux apprentissages, notamment celui de la lecture et de l’orthographe. L’auteure fait également le lien avec les maux de la société, comme la montée de la violence à l’école (quand on n’a pas les mots…), le décrochage scolaire et un rejet de plus en plus fort de l’institution.

Avec obstination, Anne-Marie Gaignard a su apprendre à dompter ce mal qui la rongeait, à classer et inventorier les types de fautes, à savoir accorder les participes passés et les verbes pronominaux. Sa méthode, conçue pour les enfants, est publiée en 2003 sous le titre de « Hugo et les rois ». L’idée est simple et lumineuse : créer des personnages qui représentent les pièges. « Être » devient ainsi un gentil roi, tandis qu’il faut se méfier du roi « avoir ». Rapidement, le livre rencontre un certain succès, il est utilisé également dans les classes par des instituteurs. Anne-Marie Gaignard perfectionne sa méthode au contact des enfants en grande difficulté, et l’adapte progressivement aux adultes demandeurs.

Anne-Marie Gaignard développe une critique forte du système scolaire. La volonté d’aller vite dans l’apprentissage de la lecture, en CP, est selon elle une erreur, tout comme les apprentissages relégués à la maison, exacerbant les tensions entre parents et enfants, alors que les parents eux-mêmes sont souvent démunis face aux problèmes d’apprentissages de leurs enfants. Elle critique également le manque de formation des enseignants pour poser un bon diagnostique sur les difficultés de l’enfant, et sur la propension à externaliser l’aide, avec une forte culpabilisation des parents et des enfants. Pour les élèves relevant d’un handicap, la MDPH fait preuve de lenteur pour intervenir auprès des élèves. Au final, ce système échoue à remplir sa fonction première : faire réussir tous les élèves.

Notre analyse sur le livre d’Anne-Marie Gaignard

  •  Utiliser métaphore et allégorie est un moyen pertinent pour aider les élèves à comprendre les règles de grammaire. Il s’agit ici de s’affranchir des codes scolaires, de la grammaire, pour mieux les surmonter. Dans sa méthode, Anne-Marie Gaignard mobilise les gestes mentaux, en s’intéressant aux types de mémoire dominants chez les élèves. Ce sont des pistes sérieuses à développer, un des enjeux de l’école étant aussi de développer le « apprendre à apprendre » (la 8e compétence énoncée par le cadre européen).
  • La qualité de la méthode d’apprentissage d’Anne-Marie Gaignard ? D’une part elle intervient pour réparer les dysfonctionnements à la marge du système scolaire, d’autre part elle agit au nom d’un principe inaliéable de l’éducation : l’éducabilité – elle croit en la réussite des enfants, leur donne confiance en leurs capacités d’apprentissage. Elle plaide pour le plaisir d’apprendre, qui est un ingrédient essentiel de la réussite.
  • Son corollaire : une forte dose d’empathie et un travail très personnalisé. Mais en classe le professeur doit différencier. C’est un vrai défi : faire la classe, le commun, et en même temps, tenir compte des différences entre les élèves. Suivant Bruno, un jeune professeur stagiaire dans la classe, l’auteure montre bien l’incapacité de ce jeune collègue à pouvoir le faire, sachant que la formation professionnelle a été réduite au quasi néant. Pour beaucoup alors, la méthode d’apprentissage de la lecture, c’est le livre.
  • Anne-Marie Gaignard plaide pour une méthode syllabique pour les élèves dysorthographique, mais elle précise bien qu’il n’y a pas de méthode meilleure que les autres, mais que certaines ne conviennent pas aux enfants.  D’ailleurs, la méthode strictement syllabique pratiquée de manière exclusive dans les temps passés produisait également son lot d’échec, d’où la recherche d’autres voies pour apprendre à lire.

Les questions que cela pose sur le système scolaire – et comment y répondre

  • Comment aider les enfants en difficultés ? Cette « méthode » développée par Anne-Marie Gaignard mérite d’être connue et développée au sein de l’éducation nationale, comme un outil, parmi d’autres, adaptée selon un profil d’élèves. Si nous avons lu son livre, nous n’avons pas accès à ses formules de stage de remédiation. Mais il ne faut pas oublier que d’autres formes de « Dys- » existent. La difficulté scolaire est aujourd’hui médicalisée et l’aide s’externalise de plus en plus, soit en dehors de la classe, soit au dehors de l’école. Le professeur doit être un professionnel de la pédagogie, formé à une pluralité d’approches pour faire réussir les élèves selon son profil d’apprentissage. Mais l’action principale du professeur se fait au sein de la classe, qui est aussi un collectif où les apprentissages doivent faire sens. C’est une dimension importante pour susciter la motivation des élèves. L’apprentissage ne peut être strictement individualisé.
  • Le système scolaire doit évoluer : la « tolérance à l’échec scolaire » n’est plus acceptable dans une société et une école qui se veulent démocratiques, sans quoi l’égalité des chances ne peut être qu’un concept creux. C’est le sens de l’action du gouvernement actuel qui entend mettre le paquet sur l’école primaire, à juste titre, car c’est bien dans ses apprentissages premiers que débutent le creusement des inégalités. Or, le dernier gouvernement n’a eu de cesse de fermer les postes d’enseignants spécialisés, les RASED. Il faut que les compétences de ces enseignants soient reconnues, développées, tout en revoyant peut-être les modalités de leurs interventions.
  • Mettre le paquet doit donc aussi signifier donner les moyens aux enseignants de faire réussir les élèves dans cette étape fondamentale de la littéracie. 1. Une formation professionnelle digne de ce nom, avec des certifications professionnelles pour la prise en charge des difficultés d’apprentissage spécifiques. 2. Un investissement humain avec la présence réelle de ce personnel. 3. Une articulation efficiente de l’aide apportée aux élèves, coordonnée par l’éducation nationale, et non par des systèmes juxtaposés, un mille-feuille d’aides où les familles peinent à se retrouver. Le problème est tout aussi valable dans l’enseignement secondaire.

Pour conclure, nous voudrions insister, dans tous les cas de figure, sur la nécessité d’instaurer un climat de confiance, en lieu et place de la défiance généralisée qui mine actuellement les relations entre l’école et la société. Nous souhaiterions que le livre d’Anne-marie Gaignard soit un des derniers signaux d’alerte sur les dysfonctionnement d’un système qui échoue à prendre en compte les différences entre élèves et à les faire tous réussir.

5 réponses à “« La revanche des nuls en orthographe » – Peut-on ignorer les questions et la méthode d’Anne-Marie Gaignard ?

  1. Formatrice homologuée et enseignante diffusant la méthode d’Anne-Marie Gaignard, j’ai lu avec intérêt votre article. Je regrette le parti pris politique que vous affichez car l’échec de notre école n’est ni de gauche ni de droite ; le débat mériterait de dépasser ces clivages une bonne fois pour toutes. Les parents, en particulier les parents d’enfants en difficulté dont je fais partie sont las de ces débats stériles et sont demandeurs de méthodes adaptées et efficaces pour sortir leur(s) enfant(s) de cette spirale infernale qu’est l’échec scolaire. Et nous ne parlons pas ici de l’échec scolaire de façon théorique mais du véritable échec, vécu au quotidien pendant de longues années, avec toutes les souffrances qu’il peut engendrer chez l’enfant ou l’adolescent.
    Le combat que nous menons auprès d’Anne-Marie Gaignard ne s’inscrit pas sur le terrain politique ou idéologique. Il est au service de tous ces jeunes et moins jeunes que l’école n’a pas su valoriser. Et au risque de déranger les bien-pensants de l’Education Nationale pour qui « résultats » et « efficacité » sont des gros mots, ça marche !
    Je me permets de signaler au passage quelques accords à corriger tout au long de votre article ainsi que « un bon diagnostic » au lieu de « un bon diagnostique » et « un millefeuille » au lieu de « un mille-feuille ».
    Déformation professionnelle, quand tu nous tiens…
    Avec mes meilleures salutations,
    C.Breton

  2. Ce commentaire est assez surprenant : vous affirmez avoir lu avec intérêt l’article, mais je me demande si vous l’avez bien compris. En effet, vous nous accusez tout simplement d’instrumentaliser le débat à des fins politiques, ce qu’une lecture sereine de l’article ne peut vous amener qu’à nuancer. Seuls deux remarques déplorent le manque de formation (difficile à contredire) et la nécessité de mettre plus de moyens en primaire (vous avez le droit de ne pas être d’accord). Cet article vise à faire connaître le livre et la méthode d’Anne-Marie Gaignard. Nous aurions pu choisir de l’ignorer, mais nous avons été sensibles à ses arguments et curieux face à la méthode. Si votre combat ne s’inscrit pas dans un terrain idéologique, la cause est politique (cela ne signifie pas politisée) : le débat a gagné la res publica, et c’est tant mieux. En tant que professeurs, et syndiqués, nous interrogeons justement le fonctionnement de l’Education Nationale, tout en condamnant son échec à faire réussir les élèves les plus en difficulté. En conséquence, nous examinons la méthode d’Anne-Marie Gaignard en nous demandant comment et sous quelles conditions elle pourrait trouver sa place dans le bagage pédagogique des enseignants. Sans doute fâchée par notre appartenance syndicale (je ne vois d’autres explications), vous nous assimilez ainsi à des bien-pensants de l’éducation nationale qui refuseraient les notions d’efficacité ou de résultats… Vous allez finir par me faire regretter d’avoir rédigé cet article tant les contresens se cumulent au procès d’intention.
    J’aurais tant souhaité qu’une intervention de quelqu’un qui comme vous, maîtrise la méthode d’Anne-Marie, nous éclaire encore plus sur le fond : en tant qu’enseignante, pourriez-vous nous expliquer comment vous mettez en oeuvre la méthode dans votre classe ?

    Cordialement,

  3. Merci à vous pour ce commentaire structuré et réaliste que vous avez fait sur mon livre. Mon combat est quotidien et sachez qu actuellement, des milliers de parents se manifestent pour me dire , oh combien ils sont rassurés d enfin pouvoir mettre un nom sur la difficulté de leur enfant. Certains me disent MERCI D’EXISTER ou MERCI D AVOIR DIT TOUT HAUT CE QUE NOUS, PARENTS, PENSONS TOUT BAS ! À bientôt j espère ! À vous lire et n hésitez pas à vous inscrire via mon site pour une formation spécifique 1er ou le 2d degré… les apprenants sont heureux et les enseignants comblés.

  4. Je ne suis pas d accord pour retarder l apprentissage de la lecture au de là de la cp.
    Au contraire plutôt l enfant est stimulé plus il aura de chances d apprendre.
    Sans bourrage de crâne je pense qu’il faut au contraire commencer très tôt des la moyenne section.
    Repérage des la lettres et association des sons ne peu qu’être bénéfique.
    Ainsi l enfants arrive au cp avec un minimum
    Et surtout l habitude de l’apprentissage.

  5. Pour répondre à « Moi », le problème de l’introduction de la lecture à la moyenne section de maternelle c’est que l’école n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans, c’est-à-dire le CP. Tous les enfants ne sont pas mis à la maternelle (même s’il est vrai que la majorité y vont) et cela pourrait pour le coup vraiment handicaper certains élèves. Ou alors, si l’on imagine des classes « réservées » aux élèves non scolarisés auparavant, on oublie un peu, selon moi, la notion d’égalité de notre éducation républicaine…

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