La notation et l’évaluation des élèves : vers une révolution ?

2371NOTES-ECOLEAnalyse du rapport n°2013-072 (juillet 2013) de l’IGEN, « la notation et l’évaluation des élèves éclairées par des comparaisons internationales ».

Ce rapport de l’IGEN éclaire parfaitement les enjeux et les logiques en œuvre actuellement en France dans les écoles et les collèges. Ces logiques sont en fait incohérentes entre les degrés d’enseignement et de plus en plus à l’intérieur des degrés mêmes. La mise en œuvre du socle commun (2005) n’a pas simplifié les processus d’évaluation, au contraire, mais elle trace des pistes malgré la défaillance du cadrage et du pilotage. Au collège, où les notes et les moyennes prédominent, les expériences de classe sans notes se multiplient. La mission fait le point sur les avantages et les limites de ces expérimentations. Les conclusions du rapport appellent à un recadrage de l’évaluation et à un pilotage plus fort autour de l’évaluation des élèves. Un rapport très instructif mais qui s’arrête au milieu du gué.

 

Les incohérences de l’évaluation à l’école primaire

A l’école primaire, le premier constat est celui d’une « variété des dispositifs d’évaluation », avec une constante, la primauté des appréciations littérales. Avec l’avancement dans les cycles, l’évaluation de type « acquis/ en cours / non acquis » ou l’évaluation binaire, se développent en parallèle.

Les notes à l’école ont-elles disparu ?

L’évaluation chiffrée est toujours présente en primaire, notamment au cycle 3. Cependant, les rapporteurs notent que cette pratique baisse et devient un « épiphénomène », fruit de la prise en compte des multiples préconisations officielles. Cependant, ce sont « en moyenne, 20 à 30% des écoles élémentaires qui déclarent recourir à la notation chiffrée avec des variations importantes selon le cycle et l’objectif de l’évaluation. » Ainsi, les professeurs qui notent le font pour ce qui apparaît comme fondamental, aisément mesurable (les connaissances). La principale motivation est celle de préparer les élèves à l’entrée au collège, puis vient l’objection qu’il s’agit d’une demande des parents. Si le choix de noter semble donc se faire par défaut, certains professeurs partisans des notes invoquent tout simplement la liberté pédagogique et la conviction d’une évaluation plus précise qui permet notamment de « mieux percevoir les catastrophes ».

Cette idée est corroborée par certains parents d’élèves qui souhaitent que l’école prépare au collège et à la vie, sans en faire un lieu de compétition. Néanmoins, la majorité des parents fait confiance aux enseignants pour évaluer les élèves, et dans les classes, y compris de CM2, qui ne notent pas, les parents ne contestent pas et expriment leur satisfaction. Il n’existe pas de demande sociale forte pour un retour de la notation, ce qui pour les rapporteurs « vient donc contredire le premier argument avancé par les enseignants. » Du côté des élèves, les garçons semblent plus attachés aux notes. Les élèves reconnaissent que les notes produisent du stress.

Evaluer les compétences, pas simple…

Plusieurs problèmes se posent avec la diversité des outils d’évaluation en primaire.

Si l’appréciation littérale est le principal mode d’évaluation des élèves, les rapporteurs précisent que cette « bonne intention » est « parfois mal maîtrisée ». Ces appréciations complètent et donnent du sens aux systèmes variés de codage, aux compétences du livret ou du LPC pas toujours explicite ou compréhensible. Cette difficulté de compréhension pour les familles concerne tant les familles éloignées de la culture scolaire que les familles favorisées. Cependant, la qualité des appréciations est très variable, allant des remarques « sibyllines (vu, moyen, bien)  à des commentaires plus explicatifs », déclinant conseils méthodologiques, encouragements, mais aussi remarques sur le comportement. Il arrive que les appréciations soient implicites et dévalorisent l’élève, plus que la note chiffrée.

Les codages utilisés témoignent d’une « grande diversité entraînant parfois de l’incohérence et un manque réel de lisibilité », d’une « grande inventivité » : lettres (A, B, C, D…), degré d’acquisition (A/EA/NA), codes de couleurs variés, smileys, dessins… Le problème de cohérence se pose puisque dans une même école, dans des mêmes niveaux de classe, au sein d’un même cycle, des dispositifs d’évaluation différents coexistent. Il n’est pas toujours simple pour les parents et pour les élèves de s’y retrouver.

Enfin, l’évaluation – même non chiffrée – reste subjective : « les enseignants se concertent sur l’outil pour rendre compte mais, rarement, sur les critères ou sur les seuils de performance attendus, ce qui entraîne une objectivité avant tout formelle et de façade. »

 

L’évaluation innovante au collège : un premier bilan des classes sans notes

 

Les rapporteurs ont fait le choix de n’étudier que les « pratiques innovantes d’évaluation au collège ». Le grand intérêt de ce rapport est donc de constituer un premier bilan des classes sans notes, qui ont fleuri ces dernières années, prenant en appui sur le socle commun. Les DRDIE ont ainsi recensé, en 2012, 418 expérimentations concernant une évaluation par compétences. Les projets concernent parfois tout un niveau de classe mais le plus souvent une seule classe dans l’établissement.

Pour les équipes pédagogiques qui s’engagent dans un tel projet, l’évaluation par compétences permet de « construire un enseignement qui met davantage de sens dans l’acquisitions des apprentissages. » Les rapporteurs notent les effets positifs sur les pratiques pédagogiques, qui « dépassent largement la simple question de l’abandon des notes chiffrées », qui est plus moyen qu’un but. Du côté des professeurs, une dynamique d’équipe renforcée, plus centrée sur la dimension éducative, une stimulation intellectuelle, une appropriation de la notion de compétence, une réappropriation de l’acte d’enseigner. Du côté des élèves, une évaluation pour les apprentissages, un accompagnement plus important, une place reconnue à l’erreur, une motivation accrue, une pression scolaire réduite et une meilleure ambiance de classe…

Cependant, nous sommes loin du tableau idyllique. La classe sans notes reste perçue comme une classe à part, un objet étrange dans l’établissement, qui peut inquiéter élèves et parents impliqués de fait dans un projet qu’ils n’ont pas forcément choisi et qui les distinguent des autres. Cette distinction existe aussi au sein de la communauté éducative et peut susciter des tensions et des incompréhensions entre professeurs investis dans le projet et les autres. De plus, il est bien difficile de dresser un bilan sur les performances d’un tel dispositif. Les effets positifs observés sont-ils dus à la nature de l’expérimentation ou à « un investissement renforcé d’équipes particulièrement motivées et mobilisées » ?

La mission relève ainsi des difficultés dans la mise en œuvre des classes sans notes, classées en trois catégories :

  • « Les résistances liées aux représentations (notamment celle des parents) »
  • « Les limites liées à l’environnement professionnel et au statut des professeurs »
  • « Les limites liées au système éducatif lui-même, qui ne parvient pas à accompagner ou à encadrer suffisamment les innovations observées »

Ainsi certaines classes sans notes viennent-elles à disparaître quand les professeurs investis s’épuisent dans un travail chronophage, peu reconnu, peu soutenu par les collègues, le chef d’établissement ou l’inspection. La mission pointe d’ailleurs le rôle essentiel des corps intermédiaires dans la réussite ou non des projets. Si un chef d’établissement peut impulser une nouvelle dynamique, un changement de principal peut aussi faire s’effondrer une classe sans notes, de même que la mutation d’un collègue particulièrement engagé. « La pérennité des projets est  donc clairement dépendante de la stabilité des équipes. » Enfin, la mission pointe du doigt la « faible degré d’implication des inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) dans l’accompagnement des équipes », alors que c’est « une condition sine qua non à la poursuite de ces innovations ». Les Cardie s’avèrent bien souvent les seuls soutiens académiques.  Ce premier bilan des classes sans notes est donc contrasté même si des indices positifs sont relevés.

 

Comment font les pays jugés performants pour évaluer les élèves ?

La mission analyse, dans une troisième partie, les dispositifs d’évaluation dans cinq pays de l’OCDE jugés performants (données PISA) : Corée du Sud, Finlande, Hong Kong, Pays-Bas et province du Québec.

Loin de présenter un front homogène sur la question, les rapporteurs témoignent « de l’extrême variété des formes et des objectifs de l’évaluation, de son lien avec son projet éducatif global mais aussi avec l’organisation politique et administrative de ces pays. » Différents paramètres sont ainsi identifiés, qui permettent de caractériser les profils des pays :

  • « Des pays qui accordent l’autonomie aux établissements en termes de curricula et fixent le cadre de l’évaluation »
  • « Des pays qui définissent l’évaluation comme devant faire réussir les élèves ou comme devant permettre leur sélection »
  • « Des pays qui découplent clairement l’évaluation des élèves de l’évaluation des enseignants ou des établissements »
  • « Des pays où les formes de l’évaluation utilisent une échelle de performance plus réduite »

Cet examen permet d’envisager le champ des possibles mais aussi des contraintes, et en creux la singularité de la France dans la question de l’évaluation des élèves, notamment la faible réflexion autour des curricula, ce qu’a introduit toutefois – en partie – le socle commun de connaissances et de compétences depuis 2005.

 

Quelles conclusions en tirer ?

Ce rapport conforte les positions et les exigences du SE-Unsa sur la question complexe de l’évaluation des élèves. L’acte d’évaluer est au cœur de la pratique enseignante. C’est un levier fondamental à actionner pour une refondation exigeante mais il est impossible de le réduire à des enjeux simples (notes ou pas) et indispensable – en conséquence – de l’inscrire dans un projet scolaire et éducatif global et cohérent.

Le rapport livre des éclairages sur les constats qu’il a pu dresser, notamment le manque de réflexion pédagogique sur la question de l’évaluation, même si l’introduction du socle commun et de la notion de compétences a fait bouger les lignes. Les problèmes de cohérence ont pour  écran  la « liberté pédagogique » dont la mission souligne que c’est un concept mal compris et qu’elle s’inscrit dans un collectif. Mais les exigences institutionnelles contradictoires, cumulatives, pèsent sur les enseignants (double-livret en primaire, LPC et notes au collège). Le cadrage français est défaillant, contrairement aux pays qui ont de bons résultats aux évaluations internationales. L’évaluation est un nœud important de la relation école-famille, c’est un enjeu de communication mal maîtrisé, même si les parents font globalement confiance aux professeurs.

En conclusion, la mission émet une liste de recommandations qui répondent aux constats :

  • « repenser un véritable cadrage national de l’évaluation »
  • « bien distinguer une évaluation pour apprendre et une évaluation de ce qui est appris »
  • « différencier les attendus des exigibles »
  • « mettre en place un pilotage local efficient »
  • « Faire évoluer les missions des professeurs »

D’une part, formulée ainsi en autant d’actions à mettre en œuvre, la conclusion apparaît sèche et fait peu de place aux processus, négligeant notamment l’enjeu de formation autour de cette question de l’évaluation, comme si les professeurs (et les IA-IPR) intégreraient de facto un cadre plus cohérent. Elle néglige, bien qu’ayant identifié les résistances au changement, les rapports de force au sein du monde éducatif. Elle confortera certaines oppositions syndicales en liant, sans que cela paraisse évident ou nécessaire à la lecture du rapport, l’enjeu de l’évaluation des élèves avec l’évolution du statut des enseignants et l’unification de la scolarité obligatoire. Le problème n’est pas de savoir si cette évolution est pertinente mais d’en faire une condition pour une évaluation efficace et cohérente des élèves. Le risque est alors de faire du sujet un objet de crispation et de blocage instrumentalisée par les partisans du statu quo.

D’autre part, le rapport et sa conclusion font peu référence au contexte de la refondation, alors que la mission aurait pu lier ces propositions à la nouvelle donne, ce qui aurait permis de préciser les processus à mettre en œuvre. C’est en partie normal puisque, le rapport datant de juillet 2013, une partie de donne était en phase de finalisation : les décrets définissant les conseils école-collège, les nouveaux cycles, le conseil supérieur des programmes. Pour autant la distance nous semble importante.

Si le rapport s’avance sur sur de nombreux points (faillite du pilotage, de l’accompagnement au changement, nécessité de rappeler que la liberté pédagogique s’exerce bien dans un cadre, souci de garantir un cadre de référence commun), les recommandations font appel à l’injonction à un meilleur pilotage, mais qui ne peut être efficace qu’à condition qu’il existe bien une culture commune autour des questions d’évaluation, qu’ à condition de ne pas isoler l’enjeu de l’évaluation des élèves d’autres enjeux liés comme l’orientation des élèves, la certification, le rôle des diplômes, la pédagogie et la formation…  Il nous semble que ce rapport, convaincant et éclairant sur les constats, s’arrête alors au milieu du gué.

 

3 réponses à “La notation et l’évaluation des élèves : vers une révolution ?

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  2. « …ne pas isoler l’enjeu de l’évaluation des élèves d’autres enjeux liés comme l’orientation des élèves, la certification, le rôle des diplômes, la pédagogie et la formation… »

    Avant tout il faudrait que les humains sachent ce qu’ils font sur Terre, la réflexion essentielle doit être totalement orientée sur la sentence existencielle clé qui est:
    « La création d’une existence ne sert que ceux qui existent déjà, quand il ne maitrise pas cette création, ni le chemin que suivra cette existence, le créateur est un idiot ou un sadique. »

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