Faut-il revoir l’orientation des élèves en fin de Troisième en laissant le dernier mot aux familles ?

arton3C’est l’enjeu d’une expérimentation de l’éducation nationale approuvé par le Conseil Supérieur de l’orientation lors de la séance du 14 novembre 2013. Dans environ 120 collèges, et pour une durée de trois ans (2013-16), le dernier mot sera donné aux familles concernant la voie d’orientation. Cette nouvelle procédure revient à supprimer pour ces élèves, familles et collèges, la commission d’appel qui tranche ailleurs les conflits. Cette expérimentation est-elle la solution pour mieux impliquer les familles dans l’orientation des élèves, pour éviter également les orientations subies ?

Parallèlement, une note d’information de la DEPP (novembre 2013) éclaire un peu plus les logiques en œuvre lors de la procédure d’orientation en classe de troisième, soulignant les fortes disparités sociales et scolaires, ainsi que le poids des déterminismes.

Cet article présente les principales conclusions de la note d’information sur l’orientation des élèves en classe de troisième, les modalités et les enjeux de l’expérimentation « le dernier mot aux familles ».

L’orientation en fin de troisième reflète les inégalités de notre système scolaire

Pourtant l’étude de la DEPP montre que sur l’espace d’une décennie, les conseils de classe se montrent plus favorables aux vœux des familles. Ainsi, 65 % des élèves entrés en sixième en 2007 sont orientés vers une seconde générale et technologique, contre 59 % des élèves entrés en sixième en 1995. Les redoublements ont diminué de moitié, et en cas de désaccord (3% des familles), les familles obtiennent raison dans six cas sur dix, soit par l’intermédiaire du chef d’établissement qui peut modifier la décision du conseil de classe après avoir rencontré la famille, soit via la commission d’appel. Ces faits témoignent d’une plus grande disposition du système scolaire aux vœux d’orientation des familles.

Mais l’enquête montre également les logiques contradictoires à l’œuvre dans l’orientation des élèves en fin de troisième :

  • Malgré la volonté de revaloriser la voie professionnelle, l’orientation vers celle-ci reste très liée aux résultats scolaires. Il existe même une corrélation entre notes et orientations en CAP ou en Bac pro, révélant une hiérarchie entre les deux.
  • Contrairement à l’idée que le redoublement est une seconde chance pour les élèves qui peuvent la saisir, le fait d’avoir redoublé pèse négativement sur le déroulement de la procédure d’orientation.

De plus, le déterminisme social joue encore pleinement :

  • Les vœux d’orientation en 2nde général et technologique sont très dépendants de l’environnement social, familial et spatial, même si les demandes augmentent dans toutes les catégories sociales « populaires ». Donc les écarts entre les milieux sociaux s’atténuent faiblement.
  • A résultats égaux, l’origine sociale pèse dans le vœu d’orientation : « les enfants de cadre et de professions libérales expriment des vœux d’orientation sensiblement plus ambitieux que ceux des enfants d’ouvriers, d’agriculteurs ou d’employés de service. » Les différences de capital culturel et de ressources économiques expliquent cette disparité.
  • Plus surprenant, « les conseils de classe ne corrigent pas à la hausse les demandes d’orientation des élèves issus des milieux sociaux les moins favorisés ». Ils renforcent ainsi l’ « auto-sélection » des familles et « valide avant tout l’adéquation entre le choix de la famille et les capacités de l’élève ».

Sans nier le rôle de mécanismes invisibles lors des conseils de classe, on peut aussi, en tant que professeur, répondre sur trois points à cette analyse :

  1. Une orientation en voie professionnelle, quand elle est motivée, n’est pas un vœu d’échec. Si le système souhaite revaloriser l’enseignement professionnel – et ce message est souvent adressé aux professeurs – pourquoi dès lors « corriger » les vœux d’orientation ? Cette logique d’analyse confirme elle-même la hiérarchie des voies.
  2. Certains baccalauréats professionnels sont très demandés et demandent de meilleurs résultats scolaires que pour un passage en 2nde générale.
  3. Les conseils de classe s’auto-censurent parfois dans un autre sens, en accordant le passage en 2nde générale et technologique à des élèves dont le niveau est pourtant jugé insuffisant, mais anticipant un accord favorable de la commission d’appel en cas de conflit.

Il ne s’agit pas de nier les déterminismes sociaux démontrés par l’étude, mais de pondérer les explications données sur le rôle du conseil de classe. Une étude des représentations des professeurs serait sans doute utile pour analyser plus finement ce qui en jeu dans les  décisions d’orientation tranchées  en conseil de classe.

Le dernier mot aux parents, une solution ?

C’est dans ce contexte que prend place l’expérimentation lancée par le ministère, et annoncée dans la loi d’orientation de juillet 2013 (article 32b), donnant le dernier mot aux familles en cas de désaccord avec le conseil de classe. Pourquoi cette expérimentation ? Voici ce qu’en dit le cahier des charges créé par la Dgesco :

« Cette expérimentation répond à la volonté de promouvoir une orientation « choisie » et non « subie » par les élèves et leurs familles. Il s’agit de favoriser la réussite éducative en suscitant l’implication et l’engagement de chaque élève dans son parcours. En effet, le caractère « subi » de l’orientation en fin de troisième est souvent mis en avant pour expliquer le phénomène de décrochage scolaire qui alimente le nombre de sortants sans qualification du système éducatif. Les élèves qui se voient imposer une orientation contre leur gré ne peuvent s’investir positivement. L’expérimentation consiste à transférer la décision finale au choix de la voie d’orientation du chef d’établissement à la famille. L’équipe pédagogique aurait dès lors pour mission de conseiller et d’éclairer les élèves sur les parcours qui leur offrent de meilleures chances de réussite, sans pouvoir l’imposer. Les familles devront être particulièrement accompagnées pour différencier la notion de choix de la voie d’orientation de celle de l’affectation. »

En quoi l’expérimentation répond à des enjeux pour notre système scolaire ?

  • Elle revalorise la voie professionnelle car les choix seront motivés, mais l’expérimentation ne règle pas les problèmes d’affectation et la filière obtenue peut ne pas être celle désirée. Cette réserve peut peser aussi sur l’ambition affichée de lutter contre le décrochage scolaire.
  • Elle reconnaît pleinement la place et le rôle des parents mais ne garantit pas en soit une réelle co-éducation. A ce titre elle nécessite un fort accompagnement des équipes pédagogiques et des parents.
  • Si elle est généralisée, elle pourrait au contraire modifier fortement la gestion des flux, en augmentant les effectifs de la voie générale au détriment de la voie professionnelle.

C’est pourquoi le ministère a décidé d’accompagner les collèges qui adopteront « le dernier mot aux familles » pour trois années (2013-2016), et prévoit déjà une évaluation progressive.

Le SE-Unsa a approuvé en CSE le principe d’expérimenter l’orientation choisie en fin de troisième. C’est une bonne méthode pour pouvoir tirer un bilan avant de décider – ou non – de sa généralisation.

Pour autant, laisser le dernier mot aux parents ne garantit pas fondamentalement une orientation choisie. Des garanties sont nécessaires : mobilisation des équipes pédagogiques tout au long du collège, et pas seulement en troisième, instauration d’un dialogue de qualité avec les familles, d’une culture de la co-éducation, autant d’éléments qui ne se décrètent pas.

Trois points de vigilance ont été soulignés et avancés par le SE-Unsa :

  • Au lycée, les élèves ne doivent pas être identifiés comme ceux y étant arrivés par l’orientation choisie. L’effet Pygmalion risquerait de leur nuire alors.
  • La place des Co-Psy (conseillers d’orientation psychologues), reconnue pleinement dans l’expérimentation, doit être indépendante du conseil de classe et du chef d’établissement. Leur présence doit être assurée, ce qui pose une question de moyens.
  • Une approche qualitative passe par des temps identifiés et attribués au parcours d’orientation, passe aussi par de la formation pour les équipes éducatives. Cette exigence vaut pour tous les collèges en réalité, mais les collèges retenus doivent être priorisés.

Par ailleurs, elle ne peut que s’entendre qu’en relation avec d’autres mesures annoncées par la loi d’orientation :

  • La mise en œuvre du nouveau parcours d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel (dont les modalités ne sont pas encore connues)
  • La nécessité de repenser les liens entre le collège et le lycée, de repenser les classes de seconde de façon à faciliter les passerelles
  • La refonte du socle commun, notamment des compétences 6 et 7 et, de paire, de l’évaluation des élèves. Pourra-t-on envisager à terme une évolution des modalités d’affectation grâce à un système basé sur les compétences des élèves, et non plus des notes, qui ne réduit donc plus l’élève à un niveau scolaire moyenné et compensé de toute part ?

Pour aller plus loin : présentation de l’expérimentation sur le site ministériel

4 réponses à “Faut-il revoir l’orientation des élèves en fin de Troisième en laissant le dernier mot aux familles ?

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