Le traducteur automatique, c’est pas magique…

Il y a des phrases comme : «Monsieur, y a un correcteur automatique pour l’anglais ?»

ou bien :

«Un traducteur automatique c’est un site où on tape en français et ça parle en anglais.» 

ou alors :

«Si le professeur demande d’écrire une autobiographie en anglais, on utilise un site de traduction comme ça c’est plus simple

qui me font tweeter des phrases comme celle ci :

@brufrench«L’enfant se contente assez souvent d’explications qui satisfont son goût de la poésie et sa paresse, au lieu d’aller au fond des choses.» (G.Belbenoit)

Les élèves, c’est de bonne guerre, cherchent souvent la facilité. Les professeurs, ces donneurs de leçons, ces despotes empêcheurs de paresser en rond, ces complexificateurs compulsifs, sont là uniquement pour rendre pénible une tâche qui paraissait assez simple au départ.

Les mathématiques ont les calculatrices, les lettres ont les correcteurs orthographiques, l’enseignement des langues a le traducteur automatique. Ce sont autant d’outils technologiques qui, pour les experts, constituent un gain de temps et une aide, mais auxquels hélas, les élèves d’aujourd’hui sont encore peu éduqués.
Pour le professeur de langues en France, le traducteur automatique est le plus souvent un objet qui inspire des craintes, et que les plus technophobes vouent aux gémonies. Le traducteur automatique serait un danger, et les élèves ne devraient pas l’utiliser.  A l’instar des réseaux sociaux et du téléphone portable, il faudrait en restreindre l’usage et faire comme si ces outils technologiques n’existaient pas.
Dans leurs pratiques, plusieurs collègues ont été amenés à supprimer l’évaluation d’une éventuelle  recherche personnelle et se trouvent de plus en plus gênés par des devoirs à la maison qui ne sont que des copiés-collés d’un traducteur automatique.
L’enjeu est important. Avec la multiplication des appareils numériques, de l’omniprésence d’Internet dans la société actuelle, il n’est pas pensable d’exclure des outils que les élèves se sont d’ores et déjà appropriés. Dans cet article je vais m’efforcer de montrer qu’il est possible d’amener les élèves à une utilisation intelligente,  raisonnée et pertinente du traducteur automatique.

I)  Traducteur automatique et pensée magique :  ÇA traduit

Utiliser le traducteur automatique pour un élève en difficulté devant sa copie d’anglais, c’est une alternative séduisante. Un peu comme Aladin qui n’a qu’à frotter sa lampe et faire un souhait pour devenir riche et beau,  l’élève à qui on a demandé d’écrire un paragraphe en anglais et auprès duquel on a lourdement insisté pour qu’il n’écrive pas d’abord en Français, pourra se contenter,  le soir venu et pour en finir une fois pour toutes, de gribouiller trois lignes en français puis de les taper dans la case du premier site de traduction venu, d’appuyer sur «traduire», de copier ou d’imprimer, puis, le sens du devoir accompli, vous tendra fièrement son devoir le lendemain  en vous disant, «j’ai fait ça Monsieur, c’est bien ?»
Vous apprécierez qu’il ait passé de son précieux temps à imprimer une page en pensant brièvement qu’il avait des devoirs,  et vous consolerez en vous disant qu’au pire, l’exercice que vous lui avez demandé lui aura au moins servi à essayer de s’exprimer dans un français correct pour pouvoir faire faire le travail de traduction à une machine dont on n’attend pas, de sa part à elle,  qu’elle soit autre chose que binaire.
Lors de mon année de stage, qui a eu lieu en 2006, l’usage des traducteurs automatiques commençait déjà à se répandre parmi les élèves, et plusieurs expériences ultérieures m’ont conduit à me méfier de l’utilisation qu’en faisait mes élèves. Mais en tant que professeur stagiaire, je n’avais pas encore bénéficié d’une formation sur «comment gérer les élèves qui utilisent un traducteur automatique pour écrire un paragraphe sur un sujet donné». Je n’ai pas mis zéro à l’élève qui avait utilisé un traducteur pour lui apprendre qu’il ne fallait pas faire ce qu’il avait fait ; il ne se rendait pas compte que la traduction du paragraphe qu’il avait écrit en français n’était pas compréhensible par un anglophone. Il avait simplement cru ou bien espéré que l’outil de traduction aurait tenu sa promesse, qu’elle lui aurait fourni une traduction qui serait sans failles car issue d’un instrument infaillible, l’ordinateur.
La déception de l’élève fut grande lorsque je pris l’initiative de faire retraduire en français par le traducteur ce qui avait été donné comme étant de l’anglais dans la copie : j’ai demandé à l’élève de lire le passage en français et de me dire s’il comprenait quelque chose au texte qu’il lisait. Il me répondit que ce que je lui demandais de lire n’avait aucun sens. Ce à quoi, je lui ai dit que c’était ce que le traducteur avait dit qu’il avait écrit, puis, après lui avoir conseillé d’utiliser le traducteur pour traduire des mots ou des bouts de phrase plutôt que de copier-coller des textes entiers pour en obtenir une traduction non satisfaisante, je lui indiquai qu’il valait mieux se fier à ses propres connaissances pour faire ses devoirs.

Six ans plus tard, la donne a changé.
Tous les élèves ont accès à un ordinateur, et nombreux sont ceux qui entendent confier leur apprentissage de l’anglais à cette merveilleuse machine qui traduit pour eux ce qu’ils n’ont pas  envie de faire l’effort de comprendre. Ce qui est mis en jeu ici, dans l’apprentissage, c’est la notion même de nécessité forte d’apprendre à parler une langue étrangère pour communiquer avec autrui : Pourquoi irai-je m’embêter à apprendre l’anglais alors qu’il me suffit de taper ce que je veux dire à une personne pour le voir traduit un quart de seconde plus tard sans me fatiguer.
Ainsi lorsque je pose la question: «A quoi peut servir un traducteur automatique ?», très peu osent dire que ça peut servir à ne pas trop se fouler pour faire ses devoirs, même si l’un d’entre eux a le courage d’avouer tout net : «Si vous nous demandez d’écrire une autobiographie, on utilise un site de traduction comme ça c’est plus simple».
C’est de cela qu’il s’agit pour une partie des élèves : se simplifier la vie et préférer l’apparence du travail à une démarche de construction de l’apprentissage, et c’est précisément pour cela qu’il est nécessaire d’éduquer les élèves à ce type de technologie.

II)  Ça traduit mal : Les obstacles à l’apprentissage

Pour expliquer à mes sixièmes quelles étaient les limites et les risques qu’impliquent  l’utilisation des traducteurs en classe de langue, je leur ai proposé de traduire avec moi un extrait de la biographie de la Reine Elizabeth dont voici la version de départ :

The Queen was born on April, 21 1926. When Elizabeth was 10 years old, her father was crowned King of England and the family moved to Buckingham Palace. The young princess did not go to school. She studied at the Palace. She studied all the usual school subjects, plus the law, art and music.Dans ce début de biographie, on apprend entre autres choses que la Reine avait 10 ans lorsque son père a été couronné Roi d’Angleterre, que la Famille Royale a déménagé à Buckingham Palace, et qu’Elizabeth en plus des cours habituels avaient suivi un enseignement du droit, de l’art et de la Musique.

Pour cette première phase, les élèves ont été invités à inférer le sens des mots en fonction de leur place dans la phrase, ils ont été aidés par les apports lexicaux que j’avais choisi de leur apporter pour qu’ils puissent s’approprier le texte sans traduire mot à mot. Ainsi, seul le mot «crown» a été donné aux élèves et il a été observé qu’il s’agissait d’une forme passive et que le couronnement avait dans la phrase un lien avec l’âge donné. Il fallait bien comprendre que le père d’Elizabeth avait été couronné l’année des 10 ans de sa fille et non pas que le père était Roi quand Elizabeth avait 10 ans ce qui laisserait supposer qu’il avait pu être couronné bien avant les 10 ans d’Elizabeth.
Même chose pour le terme «moved» qui peut être mal compris, il était important que les élèves comprennent qu’il s’agissait d’un déménagement organisé et volontaire et qui faisait suite au couronnement du père de la future Reine. Enfin il a fallu faire inférer le sens du mot «law», qui est un faux-ami et qui désigne le Droit et non la Loi.

Lorsque le sens du texte et ses nuances ont été entrevus par l’ensemble des élèves, j’ai proposé de passer le texte au traducteur afin que l’on compare la version dont on avait convenu et la version traduite par le traducteur automatique:

La Reine est née le 21 avril 1926. Quand Elizabeth avait 10 ans, son père était le Roi couronné de l’Angleterre et la famille déplacée au Palais de Buckingham. La jeune princesse n’est pas allée à l’école. Elle a étudié au Palais. Elle a étudié tous les sujets scolaires habituels, plus la loi, l’art et la musique.

La comparaison entre les deux versions du texte laisse clairement apparaître que la traduction automatique comporte plusieurs approximations et imprécisions en raison des subtilités syntaxiques et sémantiques qui ont été évoquées plus haut. Ici, le père d’Elizabeth «était le Roi couronné de l’Angleterre, quand Elizabeth avait dix ans» la famille a été «déplacée» au palais de Buckingham. Le faux-ami «Law» est mal traduit et devient donc «la loi».

Le problème majeur que rencontre un élève qui utilise un traducteur automatique de façon récurrente vient du fait que la présence d’un outil qui lui donne l’impression que le sens du texte est immédiatement traduisible et parfaitement fidèle au sens du texte initial rend la démarche d’apprentissage caduque.
Un élève qui est persuadé qu’il peut se contenter d’un sens global et approximatif pour comprendre le message d’un texte ne sera jamais en mesure de mettre en œuvre des stratégies de lecture efficaces ; il prendra un mot pour un autre en se disant que puisque le traducteur automatique le traduit comme ça, c’est que ça doit être vrai, et ne se posera même pas la question du sens du texte original. Si le traducteur dit que le père d’Elizabeth était «le roi couronné de l’Angleterre», pourquoi l’élève irait-il s’attarder sur le sens réel de la séquence «when Elizabeth was 10, her father was crowned»? Tout ce que l’élève perçoit,  c’est que l’obstacle entre lui et le sens du texte a été gommé «comme par magie», peu importe si ce sens est dévoyé, l’élève a devant lui un message suffisamment convaincant qu’il a envie de prendre pour argent comptant puisque cela lui épargne l’effort intellectuel de retour sur le texte d’origine.
Ainsi si la traduction automatique permet de saisir le sujet général d’un texte pour qui n’est pas regardant sur les liens de causalité et autres éléments textuels qui permettent de déterminer précisément de quoi il retourne, celle ci ne permet pas à un élève de se frotter à un quelconque moment à une démarche de compréhension du texte ; la traduction «immédiate» ayant supprimé de facto le besoin de déchiffrer, d’inférer du sens et de construire une compréhension fine du texte de départ.

Après avoir comparé avec les élèves la «vraie» et la «fausse» traduction, j’ai demandé aux élèves de formuler quels étaient selon eux les risques d’une utilisation abusive de la traduction automatique.

Voici ce qu’il en est sorti :
Le premier risque consiste à trop faire confiance au traducteur, à  s’y fier à tort et donc à risquer de se retrouver avec des informations fausses, de mauvaises traductions, des défauts dans la traduction.
Le deuxième risque est celui de ne pas bien apprendre (ou de ne rien apprendre du tout) parce qu’on  se sert de l’outil de traduction pour ne pas faire d’effort intellectuel.

Il est compréhensible que les élèves soient séduits par un outil qui demande de moins en moins d’efforts pour arriver à des résultats toujours plus proches de ce qui est attendu. Il n’est évidemment pas souhaitable et même regrettable que certains élèves voient dans le traducteur automatique un moyen de ne pas fournir d’efforts pour s’approprier une langue.
C’est pourquoi il est essentiel d’accompagner les élèves dans leurs usages de cet outil, que ce soit en leur faisant savoir que c’est un outil qui est utile jusqu’à un certain point mais qu’il ne peut absolument pas se substituer au travail sur la langue, ou en leur montrant que c’est un outil valable à partir du moment où il est utilisé à bon escient et que la traduction de phrases ou d’expression ponctuelle n’a de raison d’être que si la ou les phrase(s) traduite(s) s’insère(nt) dans un travail de compréhension fine des texte lus, dits, ou écrits.

Article de Bruno Franceschi professeur d’anglais en collège

Image : Image: Stuart Miles / FreeDigitalPhotos.net

Introduction et sommaire du dossier « éducation au Web2 »

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