Le cahier des apprentissages : de la théorie… à la pratique dans les classes

cahierLors de l’écriture de notre premier article sur le cahier des apprentissages, comme solution pour mettre fin aux devoirs, tout se recentrant sur le sens des apprentissages, nous n’avions pas connaissance des travaux menés sur le journal des apprentissages, théorisés et suivis par des chercheurs comme Jacques Crinon. De même, les échanges menés sur Twitter nous ont permis de découvrir des expérimentations fécondes sur le sujet, depuis plus de 10 ans. 

Le journal des apprentissages, une pratique théorisée

…par Jacques Crinon et le groupe ESSI-ESCOL de l’académie de Créteil. Dans ce court texte, Jacques Crinon résume un chapitre de son livre, le journal des apprentissages. Echec à l’échec (2003).

Après avoir présenté quelques extraits de cahiers d’élèves :

« Ces textes sont extraits de  » journaux des apprentissages  » que tiennent chaque jour les élèves de cinquième année (CM2) d’une école élémentaire de la banlieue parisienne… Chaque soir, ils récapitulent par écrit ce qu’ils ont appris au cours de leur journée. Chaque matin, quelques-uns d’entre eux lisent leur journal à la classe qui en discute.

Le dispositif est donc simple, austère même. Ses effets n’en sont pas moins notables, lorsque les enseignants qui l’adoptent ont la patience de l’inscrire dans un temps long. Pendant plusieurs jours, plusieurs semaines parfois, les textes obtenus déçoivent. Des listes d’activités, des emplois du temps presque. Besoin de structurer le temps scolaire en égrenant les tâches et en les catégorisant au sein de disciplines scolaires. Repérer ce qui attache ensemble des activités, des savoirs, des discours dans des logiques de disciplines ne va pas de soi. C’est sans doute un des enjeux de ces premiers écrits apparemment bien modestes, enjeu plus visible dans les discussions du matin auxquelles donnent lieu les écrits. 

Est-ce aussi la difficulté à reconnaître, sous les tâches scolaires, les apprentissages que celles-ci permettent ? Sans doute aussi. Au fur et à mesure que le temps passe, les écrits s’allongent, des savoirs sont évoqués –  » j’ai appris « ,  » j’ai compris «  -, et non plus seulement des tâches et des disciplines, un point de vue personnel prend la place de l’énumération des moments de la journée, des choix sont opérés parmi les activités scolaires évoquées.

Les enseignants des classes soulignent les bénéfices que tirent les élèves de ce dispositif. Récapituler de cette manière aide les élèves à mémoriser, non par une restitution systématique, mais en obligeant à organiser le savoir, à opérer des rapprochements avec ce qui a été étudié à d’autres moments, à comparer les contextes où un même savoir est apparu. On trouve d’ailleurs, dans les journaux, nombre de considérations sur ce qui était nouveau et sur  » ce que je savais déjà « . C’est aussi l’occasion, pour l’enseignant cette fois, de faire des mises au point, d’apporter des compléments, voire de modifier sa programmation. C’est enfin le point de départ de débats, parfois approfondis, sur le sens de tâches et de savoirs appréhendés d’abord par certains élèves de manière isolée ou anecdotique. […] Moment d’argumentation où se constitue un langage commun, traduction et élément constitutif des acquisitions notionnelles ou stratégiques en cours.

Il faut donc souligner l’importance, dans ce dispositif, de l’articulation entre l’écriture et le débat oral. Chaque élève écrit et fait pour son propre compte un effort pour penser sa journée en termes d’apprentissages. Mais au cours des discussions qui suivent, les confrontations amènent chacun à évoluer. Il n’est pas rare que des élèves complètent ou reviennent ensuite sur ce qu’ils ont écrit, sans pourtant qu’ils en aient l’obligation.

[…]

En fin de compte, le journal des apprentissages est un objet ambigu et ouvert, dont l’intérêt réside justement dans l’ambiguïté. Nous proposons une tâche complexe d’écriture, sans aucun modèle au départ ; nous partons des formulations spontanées des élèves ; nous provoquons une confrontation entre élèves, où l’enseignant lui-même joue un rôle important. C’est par la pratique même de l’écriture et de l’oral réflexifs que les élèves construisent, petit à petit, une représentation de l’activité d’écriture du journal, en même temps qu’une représentation de l’activité d’apprentissage et de formation dans laquelle ils sont engagés.

Cette activité au long cours les conduit à développer trois types de stratégies utiles pour apprendre. Le journal amène à mémoriser, en répétant, en reformulant, en établissant des liens entre des savoirs. Il favorise des stratégies de contrôle métacognitif en mettant au jour les manières de s’y prendre pour réussir ou en obligeant les élèves à toujours évaluer le point où ils en sont, ce qu’ils ont compris ou non… Il développe enfin les stratégies d’élaboration qui consistent à intégrer constamment les savoirs nouveaux à des ensembles plus vastes. Par là, c’est le sens même des tâches scolaires qui se trouve constamment questionné. Non pas, comme on le croit parfois, pour mettre en évidence l’utilité d’un savoir, mais pour le situer dans un paysage plus vaste et dans une cohérence qui peuvent seuls lui donner sens, et intérêt. »

Expériences en primaire

Dans la circonscription de la Goutte-d’or, à Paris, une équipe de professeurs des écoles a mené l’expérience récemment et le site internet de l’inspection académique recense des réflexions et témoignages qui nous éclairent sur la mise en oeuvre pratique du dispositif pensé par Jacques Crinon.

Ainsi, dans la classe d’ Anne-Cécile Duffez, professeure des écoles à Paris (XVIIIème) , deux temps dans la journée sont consacrés au cahier des apprentissages : de 16H15 à 16H30 les élèves rédigent, et au besoin complètent leur texte à la maison. Le lendemain matin, un ou plusieurs élèves présentent leurs textes à la classe. Suite à la discussion collective, les élèves disposent d’un temps court pour améliorer leur propre texte (d’une couleur différente, signifiant que le texte initial a été modifié).

Marie Courbon montre par ailleurs combien cette pratique facilite la régulation :

« Nous corrigeons, nous enseignants, chaque jour les cahiers-journaux, cela nous permet de réguler les apprentissages à partir de plusieurs types de remarques : un contre-exemple, une représentation fausse : il faut remédier. Cela est, en général, l’objet d’une nouvelle confrontation entre pairs. Parfois, lorsque la notion apparaît comme fausse ou trop floue, une nouvelle situation d’apprentissage sera programmée. Le cahier nous apporte donc des éléments pour comprendre comment l’enfant se situe par rapport aux contenus, aux savoirs. La façon dont l’enfant représente son savoir n’est pas neutre : cela peut aller des formulations maladroites et des exemples mal choisis aux schémas, tableau synthétiques révélant un haut degré de conceptualisation. Le cahier nous apporte donc des renseignements sur les stratégies mentales, les capacités intellectuelles de l’enfant à un moment donné. L’écriture elle-même est riche de renseignements sur la maîtrise de la langue écrite.

Par ailleurs, tenir un tel cahier des apprentissages aide selon Marie Courbon les élèves à construire le concept du temps.

Expériences en collège

« M’inspirant des travaux de Jacques Crinon, j’ai proposé à chaque élève de tenir un journal d’apprentissages. Ce cahier, que l’on a appelé Cahier Journal est un outil de dialogue entre chaque élève et son enseignant, qui doit permettre à l’élève de prendre de la distance par rapport à son vécu quotidien tout en construisant son identité d’élève. Il est lu par l’enseignant une fois par mois, davantage si l’élève le souhaite. »

in Nadia Mekhoub (coord.), Enseigner le Français à tous les élèves – réponses aux difficultés du collège, collection Repères pour agir, scéren et CRDP-Créteil, 2012

Karine Risselin (dont nous avons déjà relaté la gestion du travail hors la classe dans cet article) soumet une consigné générale à ses élèves pour qu’ils remplissent ce cahier journal :

Vous ne devez pas seulement écrire ce que vous avez fait, mais ce que vous avez appris (pour vous aider, posez-vous la question suivante : pourquoi a-t-on fait cela en classe ?)

L’enseignante explique ensuite dans ce chapitre quels sont les trois types de traces qui y figurent :

  • des « bilans de savoir hebdomadaires »
  • des questions à l’enseignant
  • des devoirs maison choisis dans une liste et dans un temps imparti, où les élèves doivent faire preuve d’autonomie.

Le chapitre contient également deux extraits de cahiers des apprentissages de deux élèves différentes, mais portant sur une même séquence. Alors qu’une élève rédige un paragraphe compact pour répondre à la consigne, une autre élève (de meilleur niveau) rédige sous forme de liste. Je suis assez marqué par le fait que le texte de l’élève qui est « en difficultés » facilite la remédiation car on lit aisément que l’élève a bien suivi le déroulement de la séquence, les objectifs visé, mais que la compréhension générale a butté sur le sens d’un mot dont le dictionnaire, utilisé, donnait plusieurs définitions. L’élève rédige alors une question pour sa professeure. Les deux extraits sont finalement assez différents bien que portant sur le même sujet. Il ne s’agit donc bien de textes personnels qui permettent à l’enseignante d’agir auprès des élèves et de mieux cerner les problèmes d’apprentissages. Paradoxalement, il me semble que l’élève en difficultés a mieux répondu à la consigne globale pour remplir le cahier des apprentissages.

Le site de l’académie de Paris relate également l’expérience menée par le collège Clémenceau (18ème arrondissement) durant l’année 2010-11.

Le cadre d’action est plus global car la mise en place du cahier des apprentissages s’inscrit dans la mise en oeuvre du socle commun. Ainsi le collège expérimente-t-il une classe « sans notes » et donc travaille par compétences. C’est dans ce cadre que le cahier des apprentissages, outil d’écriture réflexive, a été introduit. Le passage suivant nous permet d’apprécier les conditions de sa mise en oeuvre :

« La réflexion plus particulièrement menée sur les « écrits réflexifs » a permis aux professeurs du collège de découvrir ces pratiques dans un premier temps (la participation de différents professeurs des écoles de diverses écoles ayant des niveaux différents est vraiment très enrichissante). Dans un deuxième temps, nous avons pu en comprendre le fonctionnement et constater le bénéfice à en tirer. La mise en place de journaux d’apprentissage dans nos classes de collège n’est pas simple : quel professeur peut « prendre sur ses heures » d’enseignement pour faire écrire dans ces journaux ? Cette année dans la classe de sixième « sans notes », ce travail a été entrepris à raison d’une heure par mois pour chaque élève (sur un créneau supplémentaire et non sur une matière). De plus, lors des heures de vie de classe de cette classe de 6e D, les problématiques soulevées par le groupe de travail ont donné une dynamique très différente au travail mené avec les élèves. Cette heure a permis de mettre en œuvre des écrits à caractère réflexifs. Conscients de l’intérêt de cette pratique pour les collégiens, le groupe de travail s’est interrogé sur la façon de mettre en place concrètement et efficacement ces journaux. Nous avons commencé à le mettre en place pour un groupe particulier : douze élèves de cinquième bénéficiant de quatre heures supplémentaires par semaine afin de remédier à diverses difficultés. Ce qui se révèle très instructif pour nous. »

Ce texte reflète les difficultés structurelles du collège à mener une action coordonnée sans passer par des heures spécifiques dédiées (une heure par moi) et l’on mesure bien l’écart entre ce dispositif et celui d’une pratique quotidienne. La suite de l’expérimentation semble ne cibler que les élèves en difficultés. Anne-Cécile Duffez, qui a suivi l’expérimentation, pose la difficulté en deux questions : « Comment prendre le temps d’écrire sur les apprentissages sans nuire aux apprentissages eux-mêmes, lorsque la durée d’un cours au collège est de 55 minutes maximum ? Comment le lien entre les différentes disciplines peut-il être fait ? »

Conclusion : un outil pour mettre en oeuvre le socle commun

Entre les injonctions qui peuvent nous paraître contradictoires (programmes / socle commun, limitation des devoirs / pression scolaire et sociale), notre enseignement peut s’en sortir par le haut en replaçant la pédagogie au coeur des relations entre l’institution scolaire et les familles. Il est temps de passer de l’école et du collège qui enseigne, où on note les élèves (compétition individuelle) et on fait ses devoirs, à l’école du socle où l’on apprend, dans un collectif d’apprentissages, où le pédagogue sait différencier à bon escient.

La question des outils est essentielle. Le cahier des apprentissages est un objet à dimension multiple qui relie le travail en classe et hors la classe, qui permet de développer les compétences cognitives, qui permet aux parents et aux enseignants de suivre les apprentissages des élèves (même si le regard n’est forcément pas le même), qui clarifie et explicite les attendus scolaires.

Expérimenté depuis plus de 10 ans, le cahier des apprentissages peut répondre à un certain nombre d’enjeux actuels comme la mise en oeuvre du socle commun, donc, mais aussi s’enrichir de la dimension numérique qui peut enrichir les apprentissages, notamment par l’écriture collaborative (voir les propositions dans notre premier article). Par contre, comme tout outil, son succès ne peut dépendre que d’une réflexion et mise en place collective, sur le temps long, mobilisant à la fois les enseignants, les élèves, les parents, mais aussi l’institution scolaire dans sa capacité à insuffler la dynamique et à garantir une continuité pédagogique et éducative.

A l’heure de la refondation, où la question pédagogique semble noyée, penchons-nous sur le cahier des apprentissages.

Pour aller plus, un pearltree recense les liens intéressants autour du cahier des apprentissages :

http://www.pearltrees.com/spoutnik/cahier-apprentissages/id7492680

7 réponses à “Le cahier des apprentissages : de la théorie… à la pratique dans les classes

  1. Un article qui apporte des arguments à un travail que je demande à mes élèves de faire des qu’ils ont terminé une tâche et que j’intitulé « récapitulatif de travail  » avec 3 colonnes domaines, contenu ( ce que j’ai fait ) et auto eval ( comment je L’ai fait ce que je retiens ce que j’ai appris. ) . Ce document va ensuite dans les collèges de mes élèves et dans les familles. Quand je regarde ce document j’apprends beaucoup sur mes élèves et parfois je suis très surprise de leurs propos. Je pourrais appeler ce travail  » journal des apprentissages » ce serait plus adapté. Un article éclairant pour mes pratiques :))))

  2. Très intéressante démarche en effet. Cette année, nous testons une variante au cahier d’apprentissage mais avec la même finalité. Les élèves publient sur le compte twitter de la classe leur #AutoBilan Une espèce de cahier journal en ligne.
    Aujourd’hui j’ai appris…Cette semaine j’ai appris…Chaque élève réfléchit sur ce qu’il a appris, le formalise par écrit et le met en partage. Ils s’aperçoivent ainsi des similitudes et des différences sans qu’il soit question à aucun moment de comparaison de niveau, mais bien de mutualisation des connaissances. Ils peuvent alors se répondre, interagir, etc.

  3. Merci Monique. Marielle Potvin, du Québec, m’a transféré un modèle de document qu’elle fait compléter à ses élèves. Cela me semble être du même esprit. C’est vrai que journal des apprentissages fait sans doute moins scolaire dans la formulation 😉

  4. Justement, en parlant du lien avec les familles, je trouvais très judicieux de demander à l’élève de faire la démonstration à ses parents, à titre de devoir, ce qu’il a appris aujourd’hui. Cela est valables pour les savoirs académiques; mettre des mots au féminin, multiplier par 10 ou accorder au pluriel (savoirs déclaratifs).
    Cependant, j’insistais aussi sur les savoirs procéduraux. J’ai appris à chercher dans un dictionnaire ou même à résoudre un problème. J’ai appris comment vérifier le résultat d’un calcul ou structurer correctement une phrase.
    Non seulement l’élève devient conscient de ses progrès et apprentissages (le carnet devient alors un moyen motivationnel en cas de découragement) mais il s’engage de plus en plus, étant lui-même conscient de ceux-ci. Aussi, il était primordial pour moi d’accorder autant d’importance aux apprentissages aux habiletés sociales qu’aux savoirs essentiels. Par exemple, savoir emprunter une gomme à effacer ou résoudre un conflit pacifiquement devient des habiletés tout aussi valorisées que de pouvoir additionner avec retenues.
    Comme le journal est personnalisé, je me permettais de remémorer aux enfants ce qui avait été vécu dans la journée. Untel avait pris une gentille initiative, tel autre avait fait tel progrès ou avait soit surmonté un obstacle ou vaincu une limite, tout cela était matière à prendre en note.
    Je terminerai en insistant sur l’apport inestimable que ce journal apporte au portfolio d’apprentissage.
    À la fin de chacune des étapes de l’année scolaire, un nouveau journal était entamé. L’itinéraire des apprentissages à faire durant cette nouvelle étape était affiché. L’élève pouvait donc s’y référer pour noter dans son journal ce qu’il maîtrise maintenant, ou pas. Cette façon de procéder engage l’élève et le motive au plus haut point, habituellement. À la fin de l’année scolaire, quatre journaux nous indiquait le cheminement particulier de chacun des élèves. L’élève y constatait clairement le chemin parcouru. Avec la plupart du temps une grande fierté.

  5. Cela fait deux ans que je pratique le blog de classe « sorte de cahier journal en ligne ». La première année avec des GS-CP-CE1 et cette année avec des CE2. Chaque soir un petit groupe d’élèves (2 ou 3) rédigent un petit texte sur les apprentissages du jour (sous forme de dictée à l’adulte pour les plus jeunes), l’avancement des projets en cours. Cela les obligent à savoir ce qu’ils ont appris et pourquoi. Le texte est lu en classe le lendemain et complété. Il est ensuite publié sur le blog de la classe.
    En début d’année les textes ressemblent à « On a fait du Français et des Maths. » En fin d’année on arrive à des choses du type « Nous avons appris à conjuguer le verbe avoir au présent pour pouvoir l’écrire sans faute quand on écrit à quelqu’un. En mathématiques, nous avons appris une nouvelle opération: la multiplication. On peut faire des calculs plus vite qu’avec l’addition en faisant des paquets. »
    Cela structure les aprentissages. Toutefois, même si on reprend la leçon, que les élèves comprennent parfois mieux ce qu’ils ont appris et pourquoi ils l’ont appris, cela ne leur permet pas, dans ma classe, de mémoriser les leçons de type tables, conjugaisons… et ce malgré les nombreux exercices d’application et de mémorisation quotidiens en début de journée.
    J’aimerais donc savoir comment vous y parvenez.

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