Que nous apprend l’enquête sur les pratiques d’enseignement en mathématiques en CM2 ?

Les premiers résultats de l’enquête sur les PRAtiques d’Enseignement SCOlaires des mathématiques, PRAESCO, en classe de CM2 en 2019 ont été publiés. L’équipe des chercheurs ayant mené ce travail à accepté de répondre à nos questions.

En quoi consiste l’enquête PRAESCO et quels sont ses objectifs ?

PRAESCO est un programme d’enquêtes sur les pratiques d’enseignement spécifiques aux contenus, il est conduit par la DEPP en association avec des équipes de recherche. Ce programme porte sur les pratiques d’enseignement du français et des mathématiques à deux niveaux du premier et du second degrés : la classe de CM2 et la classe de 3e. Les enquêtes se déroulent tous les trois ans et sont synchronisées avec les enquêtes CEDRE qui portent sur les acquis des élèves dans ces mêmes disciplines et à ces mêmes niveaux scolaires. Ce sont les mathématiques qui ont ouvert ce programme d’enquêtes, les professeurs ont répondu au questionnaire en mai et juin 2019.

Les enquêtes TALIS (OCDE) et EPODE (DEPP) interrogent les pratiques des enseignants, sans questions spécifiques portant sur les contenus enseignés, mais de façon générale à propos de leur formation, des ressources qu’ils utilisent, de la conception et de la mise en œuvre de leur enseignement, des adaptations et ajustements de leur enseignement à leurs élèves, etc. L’objectif de PRAESCO est de compléter les résultats de ces enquêtes en interrogeant les pratiques spécifiques aux contenus, c’est-à-dire, pour l’enquête dont il est question ici, des pratiques d’enseignement des mathématiques aux élèves de CM2.

Notre objectif de chercheurs, dans cette enquête, était non seulement de montrer quelles sont les pratiques des enseignants, mais aussi de mettre au jour ce qui, dans leurs pratiques, correspond à la culture du métier, relève de choix ou de contraintes, et dépend de caractéristiques professionnelles et du contexte d’exercice. Parmi ces caractéristiques et ces contextes on peut citer la formation, l’ancienneté, l’enseignement en classe multiniveau, en éducation prioritaire, en milieu rural, dans le secteur public ou privé.

Comment avez-vous procédé ? Avec quelle méthodologie et quelles limites ?

L’équipe dite de « chercheurs » s’est constituée à partir d’une double spécialité : 1) sur les pratiques d’enseignement à l’école élémentaire et 2) sur les thèmes mathématiques qui ont fait l’objet de l’enquête. Les chercheurs ont aussi sollicité des professionnels du terrain pour la phase d’élaboration du questionnaire. Des enseignants et formateurs ont ainsi aidé au choix des thèmes et à trouver les formulations les plus adéquates.

Compte tenu des moyens qui pouvaient être engagés pour traiter les données recueillies, la DEPP avait demandé que le questionnaire ne comporte que des questions fermées où les professeurs répondraient sur une échelle à quatre degrés (par exemple, à propos de l’accord avec une proposition : pas du tout d’accord, plutôt pas d’accord, plutôt d’accord ou tout à fait d’accord). Cela constitue une première limite ; une deuxième étant qu’il était difficile, pour certaines questions, d’interroger les raisons expliquant les réponses à ces questions. Une troisième limite est le fait de ne pas avoir pu explorer suffisamment chaque thème mathématique puisqu’il était nécessaire de prendre en compte le temps pour répondre au questionnaire ; nous avons estimé raisonnable de ne pas demander aux professeurs enquêtés de prendre plus de 50 minutes pour répondre à l’enquête.

Le questionnaire a été proposé à un échantillon représentatif des professeurs enseignant à des élèves de CM2, un peu plus de 1 500 professeurs ont été interrogés et nous avons reçu 1 317 réponses exploitables, soit un taux de réponse très satisfaisant (86,9 %).

Du point de vue méthodologique, trois grands types d’analyses ont été effectués. Le premier type d’analyses visait à mettre au jour, à partir des tris à plat – c’est-à-dire tout simplement des pourcentages correspondant aux réponses à chaque item du questionnaire –, ce qui fait consensus ou non dans le métier. Le deuxième type d’analyse visait à montrer des éventuelles différences de pratiques selon certaines caractéristiques personnelles, professionnelles ou de contexte d’enseignement : différences entre les hommes et les femmes, selon l’ancienneté dans le métier, selon la formation suivie, entre l’enseignement public et privé sous contrat, en éducation prioritaire ou non, etc. Le troisième type d’analyses visait, lui, à identifier différentes pratiques d’enseignement indépendamment des caractéristiques des professeurs enquêtés.

La DEPP a sollicité une experte en statistiques qui a mobilisé différents outils et qui a répondu aux demandes diverses de l’équipe de chercheurs ; elle est signataire de la note d’information publiée sur cette enquête. Les possibilités d’analyses sont très importantes, même si bien sûr elles ne sont pas illimitées. La principale limite porte sur l’étude de groupes d’enseignants dont les effectifs sont trop faibles, il ne serait ainsi pas possible d’étudier comment, à conditions d’exercice analogues, les enseignants titulaires d’une licence de mathématiques (89 professeurs sur les 1317 enquêtés) ou les professeurs formateurs (39 personnes concernées) ont des pratiques qui se distinguent de celles de la population enseignante.

Avez-vous eu des retours des enseignants sollicités sur ce qu’ils ont pensé du questionnaire ?

Dans l’enquête préalable, nous avions laissé aux enseignants un espace pour s’exprimer à propos du questionnaire. Les retours étaient très positifs quant aux questions qui leur étaient adressées. Ils les ont jugées être bien en lien avec leur métier, proposant des situations proches des situations de travail, approfondies et leur donnant l’occasion de s’interroger sur leurs pratiques. Ces premiers enquêtés ont toutefois exprimé une certaine frustration liée à l’impossibilité d’argumenter systématiquement leur choix de réponse à une question portant sur leurs pratiques.

Parallèlement à l’enquête à grande échelle, nous avons mené des observations et entretiens auprès de professeurs ayant répondu au questionnaire. Là encore, le retour est très positif, même si l’honnêteté nous oblige à ne pas dissimuler une certaine méfiance : le questionnaire a parfois été perçu comme constituant potentiellement un bon outil de surveillance, voire d’évaluation des pratiques…

Est-ce que l’enquête PRAESCO permet de tirer des informations ou au moins de faire des hypothèses quant à ce qui détermine principalement le profil d’un enseignant ? Par exemple, sa formation, son ancienneté, son genre, son lieu ou son contexte d’exercice, etc.

Du fait même des méthodes statistiques mises en œuvre, il serait plus juste de ne pas parler de détermination, mais seulement de corrélations. Ensuite il ne faut pas oublier qu’il s’agit de pratiques déclarées et il y a sans doute des écarts avec les pratiques « réelles ». Les données recueillies sont des réponses à des questions définies par l’équipe de chercheurs qui ne peuvent prétendre à couvrir l’intégralité des pratiques professionnelles des enseignants.

Malgré ces réserves, les résultats obtenus montrent à la fois des points communs aux enseignants qui signent des caractéristiques communes du métier (comme la prise en compte du travail des élèves et le fait de chercher à comprendre ce qu’ils font et à les aider) et des différences entre certains groupes. Citons pour exemples, le fait que les plus jeunes se plaignent davantage de manquer de temps et de formation, que les professeurs en classe multiniveau sont plus nombreux à déclarer faire travailler souvent leurs élèves avec du matériel pédagogique, que les professeurs de l’enseignement privé sont plus nombreux à déclarer proposer souvent des tâches techniques, ou qu’en éducation prioritaire les professeurs déclarent plus fréquemment mettre en place des activités de travail individuel selon des parcours personnalisés. Il faut toutefois éviter la caricature et interpréter avec prudence ces résultats : ce n’est pas parce qu’une activité est proposée plus fréquemment par un groupe de professeurs qu’elle l’est par tous les professeurs de ce groupe ni qu’elle ne l’est pas par certains professeurs des autres groupes…

Quels sont les résultats qui vous ont le plus surpris par rapport à ce à quoi vous vous attendiez ?

Les enquêtes qualitatives menées depuis une vingtaine d’années en didactique des mathématiques sur les pratiques enseignantes avaient apporté déjà de nombreux résultats quant au travail des professeurs, et notamment sur la construction de différents équilibres en réponse à diverses tensions liées aux préconisations et à leurs variations, à la diversité des contextes d’enseignement, à la formation initiale et continue, etc. Le premier des résultats de cette enquête est que ces équilibres construits par les enseignants échappent largement aux oppositions citées ordinairement entre des pédagogies et méthodes qui seraient frontale, directive, techniciste, explicite, constructiviste, socio-constructiviste, etc. Un second résultat lié au premier a été pour nous de percevoir une répartition de ces équilibres au sein de la population enseignante en CM2.

S’il nous faut confier quelques surprises, commençons par dire que nos recherches avaient mis au jour des pratiques où les professeurs proposent aux élèves des situations riches conduisant à analyser, comprendre et argumenter en mathématiques, à utiliser et adapter ses connaissances ainsi qu’à prendre des initiatives pour résoudre des problèmes, etc. Nous n’avions en revanche aucune estimation de la fréquence de ces pratiques…

En contrepoint, les résultats de cette enquête à grande échelle font aussi apparaître l’importance en classe de tout ce qui contribue à montrer les mathématiques et à les appliquer sans nécessairement les interroger, les comprendre et les justifier. À ce sujet, malgré les évolutions profondes que les programmes scolaires ont connu dans les années 1980, la résolution de problème reste manifestement, même en classe de CM2, une question difficile dans l’enseignement primaire.

Un autre résultat surprenant est l’apparition d’un groupe de professeurs qui déclarent, dans une même situation, recourir à des manières de faire en classe qui nous semblaient incompatibles a priori. L’analyse des réponses et l’enquête qualitative menée en parallèle nous ont conduit à interpréter ces réponses comme celles de professeurs qui font « flèche de tout bois » pour favoriser la réussite de leurs élèves. Une piste vraisemblable pour interpréter ce type de pratiques nous semble de le rapprocher du changement permanent du discours institutionnel sur l’apprentissage des élèves…

Peut-on tirer de cette enquête des pistes pour améliorer l’enseignement des mathématiques ? Si non, quelles recherches complémentaires faudrait-il pouvoir mener ?

Cette question est une question importante, évidemment. Si l’on pense à l’amélioration de l’enseignement des mathématiques par la formation, alors incontestablement cette enquête est précieuse pour les formateurs qui disposent à présent de données (par la nature du questionnaire lui-même autant que par les résultats des analyses des réponses) leur permettant de mieux connaître la composition du corps enseignant quant à ses pratiques d’enseignement des mathématiques en CM2. Cela pourra les aider à adapter plus précisément la formation qu’ils proposent aux professeurs.

Si l’on pense à l’amélioration de l’apprentissage des mathématiques, alors la question essentielle qui reste posée après cette enquête et à laquelle nous sommes prêts à nous atteler maintenant est celle du lien entre les pratiques des professeurs et les apprentissages des élèves. C’est une question très complexe car les travaux antérieurs montrent bien qu’il n’y a pas une pratique meilleure que les autres pour tous les élèves dans tous les contextes.

Prendre au sérieux cette question est aujourd’hui indispensable pour le système éducatif français : quelles pratiques sont mieux adaptées dans quels contextes d’enseignement et pour quels élèves selon leur milieu d’origine, leurs connaissances acquises, les niveaux auxquels ils sont capables de mettre en fonctionnement ces connaissances pour résoudre des tâches mathématiques ? Apporter des réponses scientifiquement étayées à des questions aussi complexes ne se fera pas en un jour, il est donc urgent que les chercheurs disposent des conditions et des moyens de se mettre au travail !

Ces réponses ont été rédigées par Éric Roditi du laboratoire EDA de l’Université de Paris avec la contribution des autres membres de l’équipe ayant mené l’enquête : Cécile Allard, Pascale Masselot, Marie-Lise Peltier-Barbier et Frédérick Tempier, laboratoire LDAR de l’université de Paris.

Photo de Max Fischer provenant de Pexels