Les écrans, un bouc émissaire dangereux ?

écransPrécisons en préambule que ce billet n’est évidemment pas un encouragement à laisser seuls devant des écrans des heures durant de jeunes enfants (et même des moins jeunes d’ailleurs !), cela est à éviter absolument, nous en sommes bien d’accord ! Les écrans ne sont ni bons ni mauvais en soi, tout dépend de l’usage que l’on en fait.

Un enfant surexposé aux écrans est d’abord un enfant sous-exposé aux relations humaines, dont on ne s’occupe pas assez, pas correctement. L’écran est secondaire dans le problème ici pointé. Faisons une analogie avec les chips… Si on laisse des chips à volonté à disposition de l’enfant il y aura des conséquences graves pour sa santé mais tout le monde sera d’accord pour dire que le principal souci n’est pas les chips, même si bien évidemment il faut préciser aux parents, peut être non conscients que c’est mauvais, de limiter cet aliment. Mais supprimer les chips ne suffira pas à régler la situation de cet enfant même si cela aura très probablement des répercussions positives sur son poids. Ce que l’on veut c’est que plus tard, cet enfant soit capable de réguler par lui-même la quantité de chips qu’il consommera de façon raisonnable pour en retirer du plaisir sans conséquences néfastes pour sa santé.

Et il ne viendrait à l’idée de personne de faire une campagne contre les chips avec des slogans du type « Pas de chips avant 3 ans », « pas plus de 5 chips par jour entre 3 et 6 ans »… D’autant que pour les écrans la quantité donc le temps d’exposition ne signifie pas grand chose à lui seul, ce que l’on fait devant ou via cet écran a aussi de l’importance. En effet parler d’écrans est vague, on peut faire plein de choses très différentes via ou avec des écrans : regarder des photos, échanger avec des amis, faire des visio-conférences avec des membres éloignés de la famille, jouer, lire, s’exprimer sur les réseaux ou sur un blog, créer des contenus multimédias, échanger sur ses passions…

Pointer les écrans comme responsables de tous les maux actuels (l’isolement social, le manque de concentration, la baisse de l’orthographe…) c’est renoncer à agir VRAIMENT et efficacement, cela s’apparente à désigner un bouc émissaire.

L’éducation d’un enfant c’est bien plus complexe qu’une liste de règles à suivre avec des choses dangereuses et donc interdites et des choses “bonnes pour l’enfant” qui seraient obligatoires. C’est un subtil dosage que chaque famille construit comme elle le peut et pour lequel elle peut avoir besoin d’aide et d’accompagnement. En éducation comme dans l’enseignement il n’y a pas de recette toute faite ni de baguette magique.
Si un enfant ne va pas bien, que son développement est médicalement inquiétant et qu’on se rend compte qu’il est des heures par jour devant un écran il va falloir analyser la situation de cet enfant et aider sa famille au delà du “il faut supprimer les écrans !”

Ce qui est difficile ce n’est pas “les écrans”, c’est d’élever un enfant puis un adolescent, en l’amenant vers une autonomie lui permettant de gérer lui-même sa vie de façon équilibrée sans se laisser happer par un produit ou une activité néfaste à haute dose.

Les écrans sont tentants car ils focalisent l’attention et font se tenir tranquille les enfants mais ils sont aussi générateurs de multiples occasions d’échanges riches et ludiques. Vous en trouverez par exemple sur ce site belge. À nous, parents, éducateurs, enseignants, psychologues, personnels de santé d’informer sans diaboliser, de redonner confiance aux parents et aux enfants eux-mêmes en leurs capacités de profiter de tout ce que le numérique peut apporter en évitant les pièges. Éduquer, accompagner et nous interroger sur notre propre rapport aux écrans est assurément un bon début.

Mais c’est dangereux quand même les écrans me direz-vous ! Et bien oui… et non… pas tant que ça en fait. Au lieu de jouer à se faire peur le mieux est de s’informer vous ne croyez pas ? Un autre billet à venir “Paniques à propos des écrans, que peut-on en penser ?” devrait vous donner quelques points de départ.

Lire aussi sur le même sujet notre interview du psychologue Yann Leroux : « Écrans et enfants, la présence d’un adulte est importante« 

Crédit image : visuels réalisés par David Cohen

Une réponse à “Les écrans, un bouc émissaire dangereux ?

  1. Un excellent texte auquel je pourrais ajouter cela:
    Toute avancée technologique naît d’un changement sociétal et exerce en retour des modifications sur chacun de nous. J’aime beaucoup un exemple qui apparaît quelque part dans « La recherche du temps perdu » où le narrateur fait pour la première fois l’expérience du téléphone. Il est pris d’un vertige cognitif d’entendre la voix de sa grand-mère alors qu’elle n’est pas présente. Ce qui était de l’ordre du miracle devient de par l’évolution technologique un fait qui aujourd’hui n’étonne plus personne. Nous avons intégré la possibilité que la voix soit instantanément transmise à distance ce qui modifie notre monde, la relation que nous avons entre nous et nous-même évidemment. Cette évolution technique propre à l’espèce humaine a vraisemblablement débuté avec l’apparition du langage, la maîtrise du feu, l’usage d’outils, puis de l’agriculture et la domestication animale, de l’écriture, de l’imprimerie jusqu’à nous qui sommes fort différents de nos parents par l’usage que nous faisons notamment des écrans via la révolution numérique. En outre nous ne mangeons pas comme nos parents, nous ne respirons pas le même air qu’eux et n’avons pas les mêmes habitudes. Les écrans font désormais partie de notre monde et évidemment de celui de nos enfants. C’est sur les écrans des échographies qu’une image représentative de nos enfants apparaît pour la première fois avant même qu’ils ne soient au monde. Aujourd’hui l’éducation de nos enfants à l’usage du monde intègre l’usage des écrans, comme celui du code de la route, de l’interrupteur électrique ou des sucres d’absorption rapide.
    De tout temps et pour toute chose, des éducateurs ont prôné la prohibition avec pour conséquence immédiate de conférer un attrait particulier à la chose prohibée mais aussi de renforcer le danger de la chose du fait de l’ignorance due à la prohibition. La prohibition malgré les toujours bonnes intentions qui l’anime est souvent porteuse d’effets secondaires dévastateurs et témoigne plus de l’incapacité de l’éducateur à affronter l’objet litigieux dans sa relation avec l’enfant que de la supposée protection bienveillante de l’enfant. Il est vraisemblable que la prohibition de toute éducation sexuelle auprès des enfants de la bourgeoisie occidentale bien pensante des deux derniers siècles soit en grande partie responsable de tels dommages que désormais l’éducation sexuelles y compris des tout jeunes enfants est devenue une évidence pour les parents et autres éducateurs.
    Les écrans nous transforment, modifient nos relations sociales et notre cognition comme l’a fait l’apparition de l’écriture dont Socrate craignait à juste titre qu’elle affaiblisse la capacité de mémoriser un texte par coeur. Mais Socrate n’a pas empêché l’écriture et les contempteurs des écrans d’aujourd’hui n’auront pas plus d’influence sur le cours historique de l’évolution technique que n’en a eu Socrate.
    Alors plutôt que de crier au feu, haro sur les écrans, il serait raisonnable d’envisager cette évolution technique au sein de l’évolution générale de notre social et d’essayer d’aborder nos propres difficultés en lien avec ces mutations récentes pour pouvoir en parler avec nos enfants qui en l’occurrence ont peut-être autant à nous en apprendre que nous avons à les en défendre. Non qu’il soit interdit d’interdire mais l’inter-dit pour qu’il ait sa valeur se doit d’être une parole qui circule dans les deux sens. C’est pourquoi on pourrait souhaiter que les prohibitionnistes puissent en plus d’avoir une bouche, également des oreilles.

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