Le protocole qu’ « Agir pour l’école » veut cacher

Contexte

Nous avons le 26 mars 2018 publié sur ce site un article concernant l’expérimentation phonologique de l’association « Agir pour l’école » dans des classes de grande section de maternelle.

Nous avions dans un souci de transparence et de clarté mis à disposition en ligne le protocole complet « Du son à la lettre » qui nous a été transmis par un collègue. En effet ce document de 88 pages est distribué aux enseignants menant l’expérimentation dans leur classe, il détaille l’organisation et le contenu des séances à mener.

Le 9 juillet 2018 nous avons reçu une injonction de Monsieur Laurent Cros délégué général d’ « Agir pour l’école » nous demandant de retirer le protocole car « ce document est protégé par le droit d’auteur, aussi sa reproduction et sa représentation sans autorisation sont susceptibles d’être constitutifs de contrefaçon, délit prévu et sanctionné par l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle. » Nous avons donc obtempéré et retiré le protocole non sans en expliquer la raison dans l’article.

Nous avons donc décidé, en nous appuyant sur l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle qui autorise « les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées » de ne pas en rester là et de faire une analyse commentée de ce protocole avec uniquement de courtes citations…

L’objectif de ce protocole d’expérimentation est de travailler la phonologie avec les élèves de GS. La phonologie est ce qui permet de repérer les syllabes dans un mot, puis les sons composant une syllabe. Les enfants ayant une bonne conscience phonologique réussissent plus facilement à apprendre à lire, c’est corrélé positivement. Pour le moment, rien ne prouve qu’entrainer de façon intensive à la phonologie améliore les résultats en lecture mais essayer de vérifier si c’est le cas est plutôt une bonne idée. Bien entendu le travail sur la phonologie est prévu dans les programmes et est mené dans toutes les classes de grande section de maternelle et même avant par des jeux de rimes via les comptines notamment et aussi des exercices plus systématiques avec par exemple l’outil « Phono » de Sylvie Cèbe mais il en existe plein d’autres.

Organisation

Le protocole « Du son à la lettre » d’Agir pour l’école prévoit l’organisation suivante pour travailler la phonologie :

Screenshot 2018-07-13 at 13.43.31 - EditedDonc si on prend une classe avec un effectif raisonnable de 25 élèves, et un seul groupe de 4 élèves en difficulté en mettant les autres groupes à 7 élèves (nombre maximum indiqué dans le protocole) ça nous fait 4 groupes dans la classe. Bien sûr de très nombreuses classes comportent plus de 25 élèves et ont plus de 4 élèves fragiles en phonologie. On est donc sur un schéma optimiste, mais nous allons voir que même dans ce cas assez idéal les conditions de l’expérimentation sont ubuesques !

Donc on a 4 groupes avec 30 minutes de phonologie par groupe assurées par l’enseignant, cela fait que le PE est mobilisé 2 heures par jour par les groupes de phonologie (bon un peu plus car il y a les transitions, la mise en place…) soit 1/3 du temps de classe quotidien.
Pour les élèves cela fait 30 minutes de phonologie avec l’enseignant et 1h30 en autonomie dans la classe, sans faire de bruit, parce que le PE est occupé avec un autre groupe de phonologie. En effet les autres élèves doivent non seulement être en autonomie (les ATSEM sont souvent peu présents en GS) mais aussi silencieux c’est bien précisé dans le protocole ! Screenshot 2018-07-13 at 14.16.55 - Edited Pour obtenir ce résultat « Agir pour l’école » a tout prévu, même un système de « punition collective » bien ficelé…Screenshot 2018-07-13 at 14.13.57 - Edited

Screenshot 2018-07-13 at 14.15.10 - Edited

Contenu pédagogique

Voici au hasard le début d’un des exercices, qui comporte 2 autres étapes, aussi « passionnantes » que les 3 premières. Screenshot 2018-07-13 at 14.30.27 - EditedCet extrait d’exercice est représentatif de l’ensemble du document : c’est mécanique, répétitif, sans sens, non relié au vécu de la classe. Les élèves font donc cela 30 minutes chaque jour et les enseignants au moins 2 heures !

Élèves en difficulté

Et si malgré ce programme des élèves ont du mal que faut-il faire ? Le protocole répond bien évidemment à cette question cruciale : Screenshot 2018-07-13 at 14.39.08 - EditedOn a aussi : Screenshot 2018-07-13 at 14.42.15 - EditedDonc si un élève a du mal on lui propose plus de la même chose jusqu’à ce que « ça rentre »… Screenshot 2018-07-13 at 14.40.43 - Edited
Et si on diversifiait en prenant une autre approche ? Ah, non, impossible, cela nuirait à l’efficacité de la méthode d’Agir pour l’école, c’est donc INTERDIT !

Rappelons quand même qu’un rapport de l’Inspection Générale en 2012 pointe à propos du programme Parler (qui a inspiré très largement celui d’Agir pour l’école) un effet pervers constaté dans une école maternelle où les enseignants ont déclaré que “les élèves ayant “résisté” (sic) au programme ne relevaient pas de leurs compétences mais de l’expertise d’un enseignant spécialiste du français langue de scolarisation ou d’orthophonistes”. (page 17)

On est là devant un vrai risque de rejeter dans le champ du handicap des élèves auxquels cette méthode ne convient pas, tout simplement !

En conclusion

Voilà, il y aurait beaucoup d’autres choses à dire mais ces quelques éléments nous semblent amplement suffisants pour donner à voir ce qu’ Agir pour l’école semble vouloir cacher en ne publiant pas son travail de façon transparente. Nous pensons qu’il est essentiel de bien réfléchir avant de se lancer dans cette expérimentation (qui doit se faire uniquement sur la base du volontariat) et de prévoir a minima des adaptations en terme d’organisation.

Nous sommes preneurs des autres protocoles de cette association concernant la fluence et la compréhension s’ils sont en votre possession. Pour cela indiquez nous votre mail en commentaire (nous ne le publierons pas évidemment), ou utilisez la zone « contact » dans le bas de la colonne de gauche du blog. Nous pourrons ainsi les analyser et les commenter ici également.

Si vous êtes victime de pressions pour accepter une expérimentation d’Agir pour l’école vous pouvez vous tourner vers le SE-Unsa pour les enseignants et le SIEN-Unsa pour les IEN. Vous serez conseillé et soutenu, une expérimentation ne peut en aucun cas être imposée !  Voir à ce propos le courrier adressé au ministre en juin.

Crédit image à la Une : Pixabay CCO Public Domain

3 réponses à “Le protocole qu’ « Agir pour l’école » veut cacher

  1. Bonjour.
    Merci pour votre travail. J’ai néanmoins une question en tant que parent d’élève. Somme-nous informés si notre enfant fait parti d’une classe expérimentale de cette méthode ?
    Merci d’avance, Géraldine

  2. Bien évidemment les parents doivent être informés, d’autant que ce protocole est lourd et demande des adaptations importantes dans l’organisation de la classe. Après ces expérimentations étant concentrées dans les écoles en REP+, il est très facile d’avoir l’assentiment des familles qui font dans ces milieux plus facilement confiance à l’école concernant les méthodes pédagogiques.

  3. Je vous remercie pour la rapidité de cette réponse. Je suis tombée par hasard sur cet article qui pour ma par me glace le sang. J’ai la chance de ne pas habiter une zone « en difficulté », mais grâce à vous je m’investirai davantage dans le parcours éducatif de ma fille (cette année en grande section). Merci encore

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