Vincent Villeminot : ministre de l’Éducation nationale préféré des professeurs documentalistes ?

En novembre 2020, Vincent Villeminot a exprimé son soutien envers les professeurs documentalistes, écartés de la prime informatique par le ministre de l’éducation nationale, sur sa page Facebook : « si les profs documentalistes ne sont pas des profs (donc à traiter comme tels), alors moi je suis le pape […] ». Vincent Villeminot a alors accepté la demande d’interview du SE-Unsa. Il n’est pas le pape, mais il ferait un excellent ministre de l’éducation nationale !
Vincent Villeminot écrit des romans que l’on trouve dans nombre de CDI tant ils touchent les élèves et nous touchent. Il a écrit le tome intitulé Stéphane centré sur ce personnage inoubliable de la série U4 qui raconte une épidémie foudroyante à laquelle seuls parviennent à échapper inexplicablement les adolescents. Il est l’auteur du magnifique roman Nous sommes l’étincelle, dans lequel des jeunes décident de fuir la répression menée par le gouvernement dans un pays où les changements climatiques ont bouleversé les modes de vie pour se réfugier à la campagne. Enfin, lors du confinement de mars 2020, Vincent Villeminot a tenu ses lecteurs en haleine en publiant tous les jours à 18h un nouveau chapitre de son « manuscrit confiné » L’île.

Dans vos années collège (ou lycée), étiez-vous plutôt pilier du CDI ou champion de babyfoot au foyer ? Quel souvenir gardez-vous de votre professeur documentaliste de l’époque ?

J’étais dans un collège, un lycée où il n’y avait pas de babyfoot, pas de foyer – et pas non plus un CDI très riche. J’y allais les jours de pluie pour y lire les quelques BDs que j’y trouvais, mais la plupart du temps, nous étions dans la cour, et on jouait au foot, on discutait beaucoup, on se bagarrait parfois. Le CDI, c’était un lieu de silence, souvent fermé, pas de cours ni de rencontres – et je crois, pour avoir fini mes années de scolarité avant les grandes réformes (j’ai 49 ans), que je n’ai jamais eu un vrai « prof-doc », mais plutôt, sans méchanceté, les fameuses « dames du CDI ». J’ai découvert ce métier bien plus tard, quand j’y suis retourné dans le cadre de rencontres scolaires.

 En 2021, les professeurs documentalistes ont fait sécession car eux aussi sont l’étincelle. Ils vous ont proclamé ministre de leur Éducation nationale, quelle est la première mesure que vous prenez en faveur de la lecture et la littérature ?

Oh… D’abord, bravo pour la sécession, et courage, ce n’est que le début. Ensuite, sans hésiter (et juste avant de démissionner de ce poste trop gros pour moi), j’essaierai du haut de mon ministère d’instituer partout, dans chaque cours, des temps, des moments de lecture à voix haute. Des moments où la voix, les mots peuvent capter même ceux et celles qui butent, tout seuls, sur les lignes – des moments où la lecture devient un moment de partage. Je crois qu’il y a là une possibilité de captation, d’évocation, de fascination indispensables dans chaque matière – lire (c’est à dire raconter) une expérience scientifique et ses hypothèses comme un suspense, une bataille comme une épopée contradictoire, une géographie comme un voyage, et bien sûr, beaucoup de littérature. Cette expérience-là est importante, le collège et le lycée sont souvent le seul moment où des personnes la connaîtront, à part les histoires du soir, dans la petite enfance.

Que pensez-vous du fait que le ministre de l’Éducation nationale actuel ne traite souvent pas les professeurs documentalistes comme des enseignants à part entière ?

Je trouve ça mesquin, d’abord, ça ressemble à des radineries un peu vexatoires, comme les pratiquent les pouvoirs qui ne peuvent plus beaucoup – mais qui aiment à rappeler leur prééminence par ce genre de choses, les « faits du prince ».

C’est d’autant plus absurde que selon moi, les profs documentalistes sont précisément parmi ceux dont le rôle permet (permettrait, parfois, hélas) de déployer beaucoup de choses utiles à l’enseignement aujourd’hui, et qui ont été essayées par ailleurs ces dernières décennies, de plein d’autres façons, dans les itinéraires de découverte, puis les oraux d’histoire de l’art, les TPE – transdisciplinarité, connexion entre recherches personnelles et travail de groupe, entre culture et compétences, entre sources et savoirs, entre savoirs, expérimentations et expressions du savoir. Bref, les profs-docs devraient avoir les moyens de devenir des acteurs-pivots de l’enseignement, ils et elles peuvent l’être dans pas mal d’établissements. Quand j’ai vu, à Carcassonne, comment ils étaient associés aux TPE, par exemple…

Et quand c’est le cas, s’y ajoute souvent un rayonnement des établissements vers l’extérieur, une communication entre classes, entre niveaux, entre établissements, dans le cadre de rencontres, de défis comme le Babélio, le prix-passerelle – des projets ambitieux, durables, féconds…

Dernier point, essentiel pour moi : j’ai rencontré depuis dix ans au moins deux générations de professeurs-documentalistes, formés très solidement à la littérature contemporaine, à la littérature-jeunesse aussi, et parfois plus convaincus que certains professeurs de français que la lecture – pas seulement celle du corpus de textes au programme, mais la lecture en général, comme geste, comme façon d’accéder au monde – est possible, joyeuse, proposable. Et que désolennellisée mais respectueuse, elle est une aventure.

Vous avez déjà été accueilli en tant qu’auteur dans des CDI. Quel est le souvenir qui vous restera, même après la fin du monde ?

Ma foi, difficile d’en isoler un. J’ai vécu des rencontres avec des classes de très bons élèves et de lecteurs précaires, avec des classes où chacun, chacune avait lu 2 ou 3 de mes romans et d’autres où on n’avait rien lu, ou simplement quelques pages (parfois avec fierté, parce que c’étaient les premières)… Des rencontres où je ne pouvais pas en placer une, tellement les élèves avaient de réalisations à me montrer, d’autres où il fallait attendre, entre deux questions. Ce que j’en retiens, c’est que le CDI est souvent un espace où les élèves sont plus spontanés, moins « attendus », plus surprenants pour leurs profs et leurs condisciples qu’en classe. Un lieu où on parle de choses aussi essentielles que l’inspiration, les conditions d’écriture, la page blanche…

Mais si je devais ne garder qu’un souvenir, ce serait peut-être, dans le cadre du prix Passerelles de Limoges, le partenariat de cinq ou six établissements, et autant de profs-docs, avec l’école de théâtre et la scène nationale – avec trois autres auteur et autrices, nous avons rencontré des élèves dans les différents CDI, puis assisté ensemble aux adaptations et mises en scène de bouts de nos romans, montées par des jeunes gens étudiants en théâtre, pour les classes de collégiens, qui devaient les évaluer. L’exemple typique de ce que la synergie et l’ambition d’une équipe d’enseignants peuvent créer de meilleur.