Qu’y a-t-il vraiment dans l’évaluation des élèves de petite section du panel 2021 ?

Devant les nombreuses questions légitimes soulevées, les interprétations complotistes et le manque de transparence de la DEPP, nous avons décidé de réunir ici les éléments concrets sur le protocole actuellement en test dans des classes de petite section.
Ce billet sera amené à évoluer en fonction des remontées de terrain, des précisions apportées par la DEPP et des références scientifiques qui nous seront communiquées concernant les différents éléments de ce protocole.
Les commentaires sont ouverts et vous pouvez aussi nous communiquer tout élément qui vous semble pertinent par mail.

Le contexte

Depuis 1973, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) a mis en place 8 panels successifs. Le principe est de suivre la trajectoire scolaire dans la durée d’un échantillon d’élèves rentrés à l’école à une date donnée. Progressivement, la DEPP a enrichi ce suivi longitudinal en introduisant des informations sur le contexte familial, les acquis cognitifs et conatifs dans l’objectif d’identifier les facteurs de réussite scolaire.
Pour la première fois, puisque l’école maternelle fait maintenant partie de l’instruction obligatoire, la DEPP a décidé de construire son nouveau panel avec environ 35 000 élèves répartis dans 1 700 classes qui entreront en petite section à la rentrée 2021. Cela devrait permettre d’introduire les apports de l’école maternelle dans la réflexion sur les facteurs de réussite scolaire. La DEPP précise dans sa présentation que l’enquête portera aussi sur les pratiques pédagogiques en maternelle.
Les informations récoltées donneront lieu à un traitement statistique après anonymisation. Elles ne font jamais l’objet d’un traitement individuel.
Selon la DEPP, tout est clair, les panels ne sont pas une nouveauté et il n’y a donc aucune raison de s’inquiéter ou de s’offusquer.

Ce n’est pas un complot

Cette enquête n’a donc a priori rien à voir avec les évaluations nationales ou le projet avorté de Jean Michel Blanquer alors directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco) d’évaluer tous les élèves de grande section pour repérer les élèves « à risques ». Elle ne concerne pas tous les élèves, n’a pas pour objectif de poser un diagnostic individuel, ni de ficher des élèves.

Ce qu’on sait du protocole

Les informations dont nous disposons à ce jour sur les outils, actuellement testés dans 60 écoles maternelles, sont parcellaires.
La DEPP indique sur son site qu’ils ont été préparés avec des groupes de concepteurs spécialistes de la maternelle et des chercheurs. Lorsque nous l’avons rencontrée début janvier, elle nous a précisé que les chercheurs étaient Alex de Carvalho du laboratoire Lapsydé et Anne Christophe, membre du conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN), appartenant tous deux au champ des neurosciences cognitives.

Nous aimerions en savoir plus sur ce qui a guidé les choix du groupe, le cadre méthodologique retenu, les champs auxquels appartiennent les « spécialistes » de la maternelle évoqués. La pluralité des approches, qui nous semble importante, est-elle respectée ? Nous n’en savons rien.

La grille d’observation du comportement des enfants

Selon les éléments diffusés par le Café Pédagogique, la grille d’observation des élèves comporte plusieurs dizaine d’items pour lesquels l’enseignant doit cocher la case « souvent », « parfois »… (on ne voit pas les autres cases). Parmi les items on a par exemple : « coupe la parole » ; « quitte l’activité avant de l’avoir achevée » ; « a facilement les larmes aux yeux » ; « est facilement distrait(e) par tout ce qui se passe autour » ; « répond mal aux adultes »…
Dans une tribune publiée dans Le Monde des chercheurs s’interrogent « sur les impacts délétères de l’effet de prophétie auto-réalisatrice, largement démontrés par la recherche sociologique, pédagogique et psychologique, autrement nommé effet Pygmalion« . Les enseignants sont très mal à l’aise de devoir mettre des croix dans des cases de façon tout à fait subjective, dessinant ainsi un profil de leurs élèves sans savoir si cela peut avoir des conséquences sur le regard qu’ils portent sur eux, ni même à quoi cela peut servir exactement.

L’évaluation en classe

Cette évaluation (désignée comme « évaluation indirecte » des élèves dans ce document page 2) est assurée par l’enseignant en classe et comporte 40 compétences à observer et évaluer pour chaque élève. Dans l’exemple qui nous est remonté, les enseignants de PS ont été prévenus de l’expérimentation du protocole qu’on leur demandait au retour des vacances de Noël avec un délai de 3 semaines pour rassembler le matériel nécessaire et réorganiser tous leurs ateliers pour les 4 semaines nécessaires à l’expérimentation.

En terme de contenu, on est sur des choses assez classiques concernant cette partie intitulée « Compétences du domaine : construire les premiers outils pour structurer sa pensée ».
Il en existe 2 autres que nous n’avons pas : « mobiliser le langage dans toutes ses dimensions » et « les fonctions exécutives ».

On peut noter, que dans ce cas précis, l’avis de l’enseignant est sollicité concernant les 20 compétences à retenir sur les 40 proposées et on leur demande le temps qu’ils ont passé pour compléter la grille d’observation d’un élève.

L’évaluation sur tablette

Cette partie (désignée comme « évaluation directe » des élèves dans ce document page 2) concernera une petite partie du panel à la rentrée 2021 (3 000 élèves sur les 35 000) et elle est aussi en phase de test actuellement. Comme le support est numérique il n’est pas facile de savoir exactement quels sont les items.
Le test en cours est assuré par des ERUN qui prennent les élèves de petite section en individuel et leur administrent l’évaluation via la tablette qui oralise les consignes.
Plusieurs d’entre eux nous ont fait remonter les éléments qui suivent qui restent parcellaires et que nous diffusons ici avec leur accord.

Notons que comme cette évaluation se déroule sur tablette numérique ce sont les ERUN qui s’en chargent et que cela leur prend inévitablement du temps au détriment de leurs missions de formation et d’accompagnement des PE dans leurs usages du numérique.

Ce qui les a le plus intrigué est la présence de pseudo-mots dans les consignes du test. On a l’habitude des pseudo-mots, c’est à dire des éléments écrits et sonores, qui ressemblent à des mots mais qui n’ont pas de sens. Ils sont utilisés en répétition pour travailler la mémoire phonologique ou en lecture pour entraîner le décodage « pur » sans recherche de sens.

Voici un exemple de pseudo-mots qui n’a rien à voir avec le protocole de la DEPP (source)

Le protocole dans sa partie tablette propose des pseudo-mots, donc sans sens, dans les consignes données aux enfants (qui ont 3 ans). On comprend que l’intention est d’évaluer si l’enfant infère le sens probable du mot inconnu en fonction du contexte, sauf que cela est totalement inhabituel ce genre d’exercice n’étant jamais proposé en classe. Rappelons qu’en plus l’enfant se trouve en tête à tête avec un adulte qu’il ne connaît pas, avec donc la voix de la tablette qui lui donne des consignes en utilisant des mots inconnus, qui de toutes façons n’existent pas.

Voici quelques exemples qui nous ont été fournis par des ERUN ayant assuré la passation :

« Oh, regarde ce verre, ce verre est cralé ! » Puis à partir de cet élément l’enfant va devoir répondre à la question : « Quoi d’autre est cralé ? » en cliquant sur un objet parmi d’autres.

Voici un autre exemple :

On peut remarquer qu’on a un oiseau au départ, et 3 oiseaux ensuite, ce qui ne simplifie pas la tâche de l’enfant qui peut s’attacher au seul mot ayant du sens pour lui « oiseau » au lieu de prêter attention à celui qui compte « goziné » !

Les ERUN signalent d’autres pseudo-mots, ici par exemple il faut déduire à partir d’un ensemble d’objets ce qui est désigné par le terme « mora » mais… ce n’est pas si simple !

« La mora est sur la table. Montre la mora. »

Là l’enfant doit donc déduire que la mora est par élimination celui qui est sur une table et qu’il ne sait pas nommer (image 2), puis sur l’écran suivant il doit à nouveau désigner la mora parmi d’autres objets et cette fois-ci il n’y a plus les tables.

Ici on a quelque chose de plus sensé, sauf qu’à 3 ans il y a fort parier que peu d’enfants aient vu un déboucheur en caoutchouc et sachent à quoi ça sert. Par élimination il doit pouvoir quand même répondre à la question…

« Qui débouche quelque chose ? »

Enfin voici d’autres consignes rapportées :

« La dame fome le garçon » (elle penche vers lui avec la tête sur l’animation). Question à l’élève : « qui est fomé ? »

« Quelqu’un poume quelque chose à quelqu’un » (image animée d’une fille qui donne un objet avec une pince à une autre personne et un garçon penché vers le sol où il y a un objet). Question à l’élève : « montre quelqu’un d’autre qui poume quelque chose à quelqu’un. »

« Grand père a dit à grand-mère que Nina était dans la cuisine pour chercher la boite de gâteaux. Mais en fait, Nina est sur le balcon en train de lancer son nounours. »
Question : « où grand père a-t-il dit à grand-mère que Nina était ? »
Choix : image du balcon, image du doudou, image de la cuisine (sans la boite de gâteaux)

Comment les enfants (et les ERUN) ont vécu cette passation ? Pas très bien, comme en témoigne ce collègue :
« Certains levaient vers moi des yeux désespérés, certains cliquaient totalement au hasard, et une petite trop choupinette me disait : je sais pas, j’appuie où ? et le dernier, très agité, ne regardait même plus la tablette et posait son doigt au hasard. »

Heureusement que le protocole est en phase de test, ces problèmes vont remonter à la DEPP, sauf que… selon nos informations l’avis des ERUN sur la pertinence des items et les réactions des enfants n’est pas sollicité.

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Il nous a semblé important de réunir et de diffuser les éléments concrets portés à notre connaissance.
Ce billet sera mis à jour si de nouveaux documents nous sont communiqués et si la DEPP apporte des éléments de compréhension notamment sur les assises scientifiques des différents questionnaires.

Le SE-Unsa se demande si les éléments obtenus dans ces conditions sont susceptibles d’apporter quelque chose d’utile à la recherche et, si cela était le cas, si vraiment cela vaut tous les inconvénients : surcharge de travail, désorganisation des classes et déstabilisation d’enfants de 3 ans.

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Suite à cet article, Agnès Florin, psychologue spécialiste du développement du langage chez l’enfant et l’éducation de la petite enfance, a accepté de nous donner son avis, à lire ici : « Agnès Florin, très critique concernant l’évaluation des enfants de petite section du Panel 2021«